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REVUE DES DEUX MONDES.

reproduisent textuellement les articles de nos revues et de nos feuilles quotidiennes, en les assaisonnant de fautes d’impression et de solécismes germaniques. À Hambourg, à Francfort, à Iéna, et dans cinquante autres villes, on imprime des recueils quotidiens, hebdomadaires, mensuels, composés tout entiers de traductions. Quelquefois le traducteur éprouve un si pieux amour pour l’œuvre de notre pays, qu’il l’adopte avec une tendresse touchante et supprime le nom de la revue à laquelle il l’a empruntée et celui de l’écrivain qui l’a signée. De là des rivalités d’amour-propre et des querelles vraiment plaisantes. On se dispute la priorité d’une traduction avec toute la vivacité qu’on emploierait ailleurs à réclamer la possession d’une œuvre originale. Le Didaskalia de Francfort accuse l’Europa, de M. Lewald, de lui avoir méchamment dérobé la traduction d’une nouvelle extraite de la Revue de Paris. L’Europa affirme que cette œuvre est bien la sienne, et, pour prouver qu’il l’a faite d’après l’original, cite le nom de l’auteur. Que répondre à un tel argument ? Les petits journaux viennent ensuite et grapillent dans les traductions des grands, qui une anecdote, qui un passage de roman, un tableau de voyage, et voilà comme notre littérature s’émiette de l’autre côté du Rhin et sert au festin de la docte Allemagne.

De temps à autre, une voix grave et sévère s’élève du milieu de ces traducteurs faméliques et lance contre eux un arrêt de réprobation. Je lis dans le Deutsche vierteljahres Schrift les lignes suivantes : Pourquoi traduit-on plus mal en Allemagne que partout ailleurs ? Pourquoi le sérieux Allemand, chaque fois qu’il s’occupe d’un idiome étranger, traite-t-il si légèrement sa propre langue ? Qu’on pénètre dans cet amas de soi-disant journaux des beaux esprits, journaux de modes, chroniques du monde élégant ; qu’on regarde toutes ces feuilles qui se parent de l’écume des littératures étrangères et qui ont la prétention d’introduire au milieu de la nation allemande le raffinement des mœurs ; qu’on parcoure l’un après l’autre tous ces romans à couverture rose, bleue, jaune, tous ces recueils de nouvelles, où l’esprit des idoles les plus brillantes et les plus vulgaires du peuple de Paris se trouve jeté dans la vase allemande. Qu’on se souvienne que celui qui a écrit ces livres est Allemand, qu’il doit penser, parler, et écrire en allemand. Qu’y trouvera-t-on à chaque page et pour ainsi dire à chaque phrase ? La langue à laquelle on attribue à juste titre tant de qualités, la noble langue allemande ravalée, dégradée, réduite au rôle du plus grossier drogman. Mais nous nous sommes habitués à cette misère, et nous ressemblons à ceux qui, vivant au milieu d’un air corrompu, n’en sentent plus les miasmes empestés. Toutes ces protestations n’arrêtent point l’activité des traducteurs. Les journaux qui s’ouvrent à ces justes plaintes s’abandonnent eux-mêmes au flot qui les entraîne. Ils ont de plus que les autres l’orgueil, ils refusent de reconnaître leur plagiat, mais leur manteau plus ample déguise mal leur pauvreté. Qu’on retranche de la collection de la Gazette d’Augsbourg et des Unterhaltungs Blaetter ce qui appartient à la France, et l’on verra ce qui leur restera.


F. de Lagenevais.