Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/517

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
511
LA PRESSE ET LES ÉLECTIONS ESPAGNOLES.

et de souffrance, il a rendu le décret qui dissout les cortès et qui en convoque de nouvelles pour le 3 avril prochain. Il lui était devenu encore plus impossible qu’avant son départ d’affronter le formidable orage qui l’attendait dans la chambre des députés, et la fatalité qui le pousse aux coups d’état était décidément la plus forte, qu’il le voulût ou non.

Ainsi l’évènement de Barcelone n’a eu d’autres conséquences sur la situation générale que de l’accuser plus fortement. Cette situation a reparu, après cet épisode, ce qu’elle était avant, avec plus d’irritation de part et d’autre. Le gouvernement n’y a trouvé que pour un moment la diversion qu’il désirait, et si l’insurrection a échoué, le bombardement n’a pas mieux réussi. La question posée est toujours la même.

Depuis le décret de dissolution, le gouvernement représentatif est suspendu de fait en Espagne. La perception des impôts a cessé d’être légale à partir du 1er janvier. L’état exceptionnel de Barcelone s’est étendu sur toute la péninsule. Plusieurs députations provinciales, entre autres celle de Sarragosse, ont déjà déclaré que tout citoyen était en droit de refuser l’impôt. Il est vrai que le gouvernement ne fera pas une grande perte en perdant le peu d’argent qui lui arrivait. Un peu plus ou un peu moins de désarroi dans ses finances n’est pas ce qui lui importe. L’armée se paiera, au besoin, par ses propres mains, comme elle a déjà fait et particulièrement en Catalogne, où un ordre du jour du général Van Halen avait autorisé les officiers à puiser de force dans les caisses municipales ; et, pourvu que l’armée soit payée tant bien que mal, le reste n’est rien. Les juges, les administrateurs, les employés de toute sorte, se tireront d’affaire comme ils pourront. La justice, l’administration, les travaux publics, à quoi bon ? On n’en est pas à cela près avec ce gouvernement.

La grande affaire maintenant, ce sont les élections. Tout le monde s’y prépare. Le gouvernement fait main-basse sur tous les agens politiques dont il ne se croit pas sûr ; les destitutions sont à l’ordre du jour, comme on disait pendant la révolution française. À l’égard des partis, la tactique qu’il suit est fort simple : il cherche à diviser ses ennemis. L’opposition qui a rendu nécessaire le coup d’état de la dissolution se composait de deux coalitions, une première coalition dans les cortès, une seconde dans la presse. La coalition des cortès ne comprenait que des progressistes, les modérés s’étant volontairement exclus de la chambre en n’allant pas aux dernières élections ; la coalition de la presse était plus large et comprenait tous les partis. Le gouvernement s’applique à réveiller toutes les vieilles haines ; il veut remettre aux prises les modérés et les exaltés, et, dans le sein des exaltés mêmes, rapprocher de lui les moins irréconciliables de ceux qui se sont détachés. En même temps, un travail très actif s’accomplit dans l’intérieur des partis eux-mêmes. Des alliances se brisent, d’autres se forment. Tantôt le principe dissolvant paraît l’emporter, tantôt l’esprit de rapprochement a le dessus. Il semble qu’on soit à la veille d’une transaction générale, comme il arrive souvent en pareil cas.