Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/531

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
525
REVUE MUSICALE.

musique. — Notre conversation en resta là. Depuis ce temps, qui sait combien d’opéras nous avons composés de la même manière, l’hiver au coin du feu, l’été au clair de lune, sous les charmilles du bois où l’oiseau chante, ce gentil virtuose des romantiques partitions que nous aimons tant à rêver tous les deux ! Ces causeries-là ont leur bon côté en ce qu’elles rafraîchissent la tête et le cœur ; on y remue des germes d’idées, des étamines qui s’en vont ensuite fleurir ailleurs et servent à d’autres. Meyerbeer aura dit quatre mots de Mignon à M. Scribe, qui, sans y penser non plus, l’aura inventé un matin qu’il cherchait à la pipée quelque nouveauté pour M. Auber, quelque bon personnage à effet. Après cela, le Carlo Broschi de M. Scribe ressemble-t-il vraiment à Mignon ? La parenté que nous avons cru voir existe-t-elle pour d’autres que pour nous ? et l’auteur du jeune Savoyard de la Grace de Dieu n’aurait-il pas des droits bien autrement légitimes que ceux de Goethe à revendiquer sur ce musicien ambulant de la Part du Diable ?… Nous le disions, la musique de M. Auber a toutes les qualités qu’on a pu remarquer dans l’Ambassadrice, dans Zanetta, les Diamans de la Couronne, le Duc d’Olonne, en un mot dans les mille et une partitions de ce répertoire coquet où sa muse semble s’être retirée. Les idées ne coulent plus de source, mais le savoir-faire reste, et tant bien que mal, à force d’expédiens, l’air de jeunesse se maintient encore. La musique de M. Auber veut être entendue, comme veulent être vues les femmes de quarante ans, le soir, à la clarté des lustres et des bougies. Je ne sais trop ce qu’en déshabillé du matin une semblable partition peut valoir ; mais, après dîner, quand l’actrice est jolie et la pièce amusante, on aurait mauvaise grace de prétendre faire le difficile. J’aurais voulu seulement une phrase plus large, une mélodie mieux sentie pour la romance de Carlo Broschi, cette complainte sacramentelle qui revient quatre ou cinq fois dans le cours de l’ouvrage, et toujours pour produire dans la situation un revirement magique. Il eût fallu trouver là un motif grave et simple, quelque chose comme cette admirable ballade d’Alice dans le Zampa d’Hérold. La chanson que le jeune Carlo débite d’un ton égrillard au commencement du second acte est une assez agréable boutade, fort goûtée du public, et à laquelle nous ne ferons qu’un reproche, celui de rappeler un peu trop la belle Bourbonnaise. Si Mme Rossi, qui chante cet air grivois en s’accompagnant de la mandoline, consentait à se mettre une paire de lunettes sur le nez, rien ne manquerait à l’illusion. En revanche, le quatuor qui suit est un morceau de choix, d’une instrumentation serrée, parfaitement coupé pour les voix, bien en scène. Il n’y a que M. Auber pour savoir découvrir de pareils diamans et les façonner avec cet art ; vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas dans tout son répertoire un opéra, si faible qu’il puisse être, où ne se rencontre quelque rare pièce du genre de celle que nous citons ici, et c’est là un don que M. Auber possède entre tous et qu’il gardera jusqu’à la fin. Aussi long-temps qu’il lui plaira d’écrire, soyez bien convaincus qu’il y aura toujours dans le moindre de ces opéras qu’il lance désormais chaque année comme des almanachs, un quatuor, un air, ne fût-ce qu’un motif