Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/648

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
642
REVUE DES DEUX MONDES.

de Nicolas, non point, comme on l’a prétendu, après la révolution de Pologne, mais dès l’année 1830, et cette révolution n’a fait que donner au tsar un nouveau prétexte pour continuer ses rigueurs. Tout ce qui avait déjà été essayé avec tant de succès par Catherine : astuce et menaces, système de séduction et d’intimidation, harangues des missionnaires, ordonnances des gouverneurs, arrêts d’exil et d’emprisonnement, tout a été renouvelé maintes fois dans les derniers temps. Dans cette œuvre de violence et d’oppression, Nicolas n’a pas, nous devons le dire, le mérite de l’invention ; il n’a fait que suivre la route frayée par sa noble aïeule, mais il l’a suivie avec une merveilleuse opiniâtreté, et il l’a embellie de plusieurs ukases assez ingénieux. En 1833, il a remis en vigueur une ordonnance de Catherine promulguée en 1795. Cette ordonnance prescrit « de punir comme rebelle tout catholique, prêtre ou laïque, de condition obscure ou élevée, toutes les fois qu’on le verra s’opposer, soit en paroles, soit en action, au progrès du culte dominant, ou empêcher, de quelque manière que ce soit, la réunion à l’église russe de familles ou de villages séparés. »

Appuyés sur le texte de cet édit, les gouverneurs ont envoyé dans les villes, dans les campagnes, des missionnaires schismatiques. Quiconque essaie de résister aux exhortations de ces satellites du pouvoir est aussitôt dénoncé et traité comme un sujet rebelle. En 1835, on a vu un riche gentilhomme du district de Vitepsk, M. Makowiecki, dépouillé de ses biens et exilé en Sibérie, parce qu’il persistait dans sa foi religieuse. Souvent ces missions produisent des scènes sanglantes. Les prêtres du schisme arrivent dans un village, escortés d’une troupe de soldats : les paysans se révoltent, la lutte s’engage, et les pauvres ruthéniens, qui n’ont pu être gagnés par la persuasion, sont subjugués par la terreur et vaincus par la force. Il y a quelques années, une commission ecclésiastique, escortée de deux bataillons, s’empara d’une église, assembla les habitans, et leur déclara qu’ils devaient, par l’ordre suprême de l’empereur, se rallier à la religion dominante. Ils s’y refusèrent ; les soldats fondirent sur eux le sabre à la main ; les uns moururent sous les coups, d’autres se précipitèrent vers un étang recouvert d’une glace légère : les soldats les poursuivirent, brisèrent la glace, et les malheureuses victimes de la foi furent englouties dans les eaux.

Quelquefois les autorités russes, pour éviter de tels conflits, ont recours à la fourberie. On séduit par des offres d’argent, par quelques misérables denrées, souvent par un peu d’eau-de-vie, un certain nombre de paysans ; on leur fait signer une pétition pour demander la réunion de leur communauté à l’église impériale, puis un beau jour arrive le délégué du gouverneur qui réunit les habitans de la paroisse et leur dit que l’empereur, dans sa sollicitude paternelle, n’a pu résister à leurs touchantes prières, et qu’il les admet tous dans le sein de l’église grecque. Le fameux acte d’union de Polock, chanté en termes si pompeux par les journaux russes, est dû à une de ces honteuses manœuvres. Trois évêques du rite ruthénien, éblouis par les pré-