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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

Nous avons maintenant à raconter la scène sanglante dans laquelle l’envoyé anglais perdit une vie digne d’une meilleure fin. Quand la nouvelle du meurtre de sir William Mac-Naghten arriva en Europe, elle y souleva un cri unanime d’exécration. Le livre de M. Eyre a jeté un nouveau jour sur des faits jusqu’alors imparfaitement connus, et si les révélations qu’il contient ne doivent point diminuer l’horreur qu’avait inspirée cet assassinat sauvage, elles prouvent cependant, et d’une manière malheureusement trop claire pour la mémoire de l’homme qui en fut la victime, que les Anglais avaient pris l’initiative de la trahison. Il est très possible que M. Mac-Naghten fût intimement convaincu des intentions perfides de Mahomed-Akbar, il est possible encore qu’il ne se crût pas tenu d’observer avec des barbares les règles d’honneur en usage chez les nations policées ; mais, dès qu’il sortait de « cette île escarpée et sans bords » pour entrer dans la carrière de la ruse et de l’intrigue, il commençait une entreprise dont la seule justification ne pouvait être désormais que le succès, et sa propre trahison, nous disons le mot, quoiqu’à regret, devait appeler, si elle ne la justifiait pas, la trahison de son adversaire.

Les termes du nouveau traité furent communiqués immédiatement au shah Soudja, qui se trouvait ainsi condamné pour la quatrième ou cinquième fois à l’exil. Le même jour, cependant, une députation des chefs vint proposer, à la grande surprise des Anglais, que le shah restât roi de Caboul, pourvu qu’il donnât ses filles en mariage aux principaux chefs, et, ce qui peut paraître puéril, qu’il s’engageât à ne plus faire faire antichambre aux nobles de son royaume, qu’il faisait habituellement attendre des heures entières à sa porte. Eh bien, ce singulier monarque tenait tellement à l’étiquette, qu’on eut toutes les peines du monde à lui faire accepter cette proposition, bien qu’il n’eût d’autre alternative qu’une abdication ; et, deux jours après, il retira son consentement. Il est à croire, du reste, qu’il n’avait pas grande confiance dans la loyauté de ses vassaux.

On était alors au 13 décembre. Le départ des troupes anglaises fut encore différé de quelques jours, à cause des délais que les chefs afghans mettaient à leur fournir des vivres et des fourrages. Mahomed-Akbar voulait évidemment gagner du temps et affamer la garnison. Les provisions de toute espèce étaient devenues si rares dans le camp, que les chevaux et les bestiaux ne se nourrissaient plus que d’écorces d’arbres, et en mangeant et remangeant leur propre fumier, qui était régulièrement ramassé et étendu devant eux. Les domestiques, qui forment toujours la partie la plus nombreuse d’une