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était strictement nécessaire pour camper dans la neige. « Lugubre était la scène, dit M. Eyre, au milieu de laquelle nous nous engagions avec un courage abattu et les plus tristes pressentimens. Une neige épaisse couvrait la montagne et la plaine d’une nappe sans tache, et le froid était d’une telle intensité, qu’il pénétrait les plus chauds vêtemens et les rendait inutiles. Il avait été convenu que deux mille Afghans, sous les ordres du sultan Jan, escorteraient l’armée ; mais l’escorte ne parut pas. À peine la première colonne des Anglais était-elle sortie du camp que des masses d’Afghans s’y jetèrent par un autre côté et commencèrent le pillage. Pendant toute la retraite, nous verrons ainsi les Afghans suivre pas à pas les traces de l’armée comme des nuées d’oiseaux de proie. La première journée fut tout entière employée au départ ; la longue file des équipages sortit par la brèche jusqu’au soir. La nuit tomba sur cette scène de désolation, et à ce moment, les Afghans ayant mis le feu au camp abandonné, toute la campagne fut illuminée sur l’espace de plusieurs milles, et offrit, dit M. Eyre, un spectacle d’une sublimité terrible. Les Afghans, dans leur fanatisme ignorant, mirent le feu à plusieurs trains d’artillerie, dont ils s’enlevèrent ainsi l’usage. On avait à plusieurs reprises pressé le général Elphinstone d’enclouer les canons qu’il s’était engagé à livrer ; mais il avait refusé, considérant cet acte comme un manque de parole. Dès le premier jour, avant même que l’arrière-garde se fût mise en marche, les hommes tombaient par vingtaines et restaient dans la neige. Les cipayes surtout (les soldats indiens) et les suivans de camp, découragés et accablés par le froid, s’asseyaient avec désespoir dans la plaine et y attendaient la mort. Le froid fit pendant cette nuit un nombre considérable de victimes. Une vingtaine de carabiniers, sous les ordres du capitaine Mackenzie, eurent recours à un assez curieux expédient pour se préserver autant que possible du froid. Ils commencèrent par nettoyer un étroit espace de terrain, et, en ayant enlevé la neige, ils s’y couchèrent en cercle, très serrés les uns contre les autres, leurs pieds se joignant au centre, après avoir eu soin d’étendre sur eux tout ce qu’ils avaient pu rassembler de couvertures et de vêtemens. De cette manière, ils purent conserver assez de chaleur naturelle pour se soustraire à la gelée, et le capitaine Mackenzie déclara qu’il avait à peine souffert du froid.

Le lendemain, le 7 janvier, la moitié des cipayes était déjà hors de combat ; ils allaient par centaines se joindre aux suivans de camp, et augmentaient la confusion. La neige durcie était tellement adhérente aux pieds des chevaux, qu’il aurait fallu le ciseau et le mar-