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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/723

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LETTRES SUR LA SESSION.

une pensée exclusive, leur politique s’y est subordonnée ; ils ont ordinairement dépassé le but, sous l’empire de contradictions irritantes et dans l’entraînement de l’action ; le résultat une fois obtenu, ils ne répondent plus ni aux vœux de l’opinion, quelquefois blessée par eux-mêmes, ni aux besoins d’une situation nouvelle : leur conservation serait un contresens et un embarras.

Ainsi le cabinet formé pour traverser le jugement des ministres de Charles X ne survit point à cette redoutable épreuve ; celui du 11 octobre lui-même, appelé à rétablir l’ordre, est ébranlé le jour où la force publique a dispersé l’émeute, où les lois ont repris leur empire ; le 6 septembre ne s’explique plus dès que la chambre s’est prononcée sur la question d’Espagne, qui lui a donné le jour. Le 15 avril, formé pour rapprocher les partis, fait l’amnistie et se trouve aussitôt gêné dans sa marche.

C’est cette loi qui, depuis un an, a frappé le cabinet de langueur et d’atonie : sa composition, ses principes, ses alliances, ne répondent plus aux conditions du moment ; sa base s’est rétrécie au point de ne pouvoir plus le soutenir. Jusqu’ici, son ambition s’était bornée à faire adopter les projets de ses prédécesseurs ; on ne citera pas une seule mesure importante qui lui ait donné une valeur propre, indépendante du but originaire de sa formation. Les élections, qui pouvaient prolonger sa durée, si la vie n’eût déjà été tarie en lui, ont fourni une dernière et éclatante preuve de sa faiblesse. Depuis un mois, la tribune lui est ouverte, il a pu exposer un système, produire ses projets ; qu’a-t-il fait ? Toutes ses propositions de loi reposaient depuis longtemps dans les cartons de ses prédécesseurs ; aucun acte, aucune parole n’a révélé en lui une volonté ferme, un plan déterminé de gouvernement. Jamais ministère, à vrai dire, n’a été moins libre : il veut supprimer la ligne des douanes entre la France et la Belgique, et quelques-uns de ses amis réunis dans un salon suffisent pour l’arrêter. Il repousse la révision des traités de 1831 et de 1833, et il accepte l’injonction de négocier pour l’obtenir. Ses appuis politiques l’attaquent dans leurs conversations particulières, et désavouent toute solidarité avec lui. M. Guizot n’est pour eux qu’un homme d’un talent puissant qu’ils emploient au service de leurs idées, sur lequel ils comptent médiocrement, une sorte d’avocat-général politique dont ils paient la parole avec les honneurs du ministère. On le ménage si peu que, dans la réponse au discours du trône, on n’a pas fait difficulté de remercier la couronne de la non-ratification du traité de 1841, qu’il avait signé, et qu’on dénonce ainsi comme un acte mauvais pour le pays. À ces contrariétés M. Guizot répond qu’elles viennent de son parti et se tient pour satisfait, comme si la majorité qui soutient un cabinet avait le droit de l’amoindrir, et que le blâme se convertît en éloge en passant par des mains amies.

Le cabinet du 29 octobre, pour me servir d’une locution familière, me paraît avoir fait son temps et ne plus posséder l’élément vital ; peut-être néanmoins parviendra-t-il à prolonger son existence. Sa succession sera onéreuse pour les héritiers qui la recueilleront, et j’en sais qui, pouvant y prétendre,