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chans, il n’est que trop enclin à tourner vers le mal jusqu’aux facultés les plus précieuses que lui départit la nature. L’homme fait lui doit l’instruction qui développe l’intelligence, l’éducation qui améliore le cœur. Pour que l’enfant se dirige sans s’égarer vers ce double but, ne faut-il pas qu’il subisse une certaine autorité ? Y a-t-il dans cet empire de l’âge et de la raison sur la jeunesse et l’inexpérience quelque chose qui répugne à la conscience, et le contraire ne serait-il pas plutôt immoral ? Eh bien ! chaque fois que le blanc et le noir habiteront la même contrée, feront partie de la même société, des relations analogues doivent exister entre eux. Par la justice comme par la force des choses, la domination appartient au premier : c’est plus qu’un droit, c’est un devoir.

Est-ce à dire que nous prenions ici la défense de la traite, de l’esclavage ? À Dieu ne plaise ! Nul plus que nous n’a en horreur cet abus de la force brutale, cet appel aux passions sordides qui arrache des malheureux à leur patrie, qui pousse la mère à vendre sa fille, le fils à livrer son père à des fers que rien ne peut rompre. La possession absolue de l’esclave, ce droit de vie et de mort que s’arroge le maître, est à nos yeux une monstrueuse immoralité. Ce que nous refusons au père vis-à-vis de son fils, comment l’accorderions-nous au blanc pour en user contre le nègre ? Les droits dont nous parlons sont d’une autre nature ; l’exercice de ces droits entraîne des devoirs sacrés. Partout où les deux races se trouvent en contact, nous croyons que l’espèce de patronage dont il s’agit ici serait profitable également au blanc et au noir. Au-delà se trouve la tyrannie pour l’un, l’abrutissement pour l’autre, l’immoralité pour tous les deux.

Donc il faut détruire l’esclavage, et cela dans un intérêt commun ; mais comment atteindre ce noble but sans compromettre à la fois la fortune, la vie des maîtres et l’avenir des affranchis ? Bien des moyens ont été proposés : la plupart sont irréalisables ; le plus mauvais de tous nous semble être l’émancipation en masse, qu’elle soit ou non précédée d’un noviciat. À son tour, M. de Castelnau propose une solution dont l’idée nous paraît ingénieuse. Il voudrait que le prix de chaque esclave fût fixé officiellement d’après le cours, puis que ce prix fût partagé en autant d’annuités, si on peut s’exprimer ainsi, qu’il y a de jours dans la semaine moins un. Ce jour réservé serait entièrement accordé à l’esclave pour exercer son industrie, et quand il aurait ramassé le montant d’une annuité, il pourrait forcer son maître à lui vendre un autre jour ; ainsi de suite jusqu’à ce qu’il eût racheté la semaine entière, et par conséquent conquis sa liberté.