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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/811

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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

en guise de manteau et la réforme sociale comme un dernier expédient pour battre monnaie. Ce serait un scandale de plus ajouté à tant d’autres. Moraliste, celui qui a emprunté la langue de Rabelais pour infecter le public de récits indécens et de contes cyniques ! Moraliste, celui qui s’est fait un jeu de conclure toujours au succès et à l’impunité du crime ! Moraliste, celui qui, après avoir composé un chapelet de femmes adultères, déclare que la chute est obligée pour toutes les filles d’Eve, et que la chasteté, exception rare, est un mot qui peut toujours se traduire par le manque d’occasion ! Oui, tous moralistes, moralistes de même trempe, qui reviendront à la vertu, si la vertu a du débit et fait mieux les choses que le vice !

La même cause a porté le roman vers la description des misères sociales : la vogue était acquise à de pareils tableaux. De là cette école de coloristes dont l’idéal consiste à outrer les difformités de la nature humaine. Autant les anciens recherchaient le beau en toutes choses, autant cette école recherche le monstrueux ; elle nous traite en convives blasés dont le goût ne se réveille qu’aux ardeurs de l’alcool et au feu des épices. Les émotions violentes, les passions échevelées, les sentimens impossibles, les imprécations, les blasphèmes, entrent pour beaucoup dans l’art d’écrire tel qu’on le comprend aujourd’hui. La révolte contre la société anime les conceptions les plus applaudies. Le roman prend un caractère de protestation de plus en plus impérieux et universel ; il proteste contre le mariage, il proteste contre la famille, il proteste contre la propriété, il ne lui reste plus qu’à protester contre lui-même. Partout se retrouve la prétention de rendre la civilisation responsable des fautes de l’individu et d’abolir le devoir personnel pour mettre tout à la charge du devoir social. Les romanciers appellent cela poser des problèmes au siècle. Problème singulier que celui d’organiser un monde où les passions seraient sans frein et les fantaisies sans contrainte ! La société actuelle a le tort impardonnable de ne pas laisser aux instincts sensuels une entière liberté ; aussi, se montre-t-on inflexible à l’égard d’un régime entaché de tant de rigorisme et d’intolérance.

Le roman ne s’en est pas tenu là ; de l’élégie il est passé au drame. Désormais ce n’est plus sur la compassion qu’il s’appuie, mais sur l’horreur. Au lieu de parcourir les replis du cœur pour vérifier combien il renferme de sentimens dépravés et d’idées malsaines, le roman s’égare à la découverte des bouges les plus infects et des existences les plus immondes ; il se propose de prouver, par la des-