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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

losophie, de grec, de mathématiques, termes un peu ambitieux pour qui sait à quoi ces cours se réduisent ; mais là du moins l’étude n’est pas mise, comme dans l’Europe civilisée, au nombre des jouissances coûteuses. Les pâtres quittent leurs troupeaux et viennent sur les bancs apprendre gratuitement les églogues de Virgile et les rapsodies d’Homère. Le pauvre, qui ne peut se nourrir lui-même, se met au service d’un marchand et soigne sa boutique ou bêche son jardin ; cette tâche remplie, il peut, aux heures des leçons, siéger en classe quelquefois au-dessus des fils du sénateur. Le soir, on rencontre, dans les bois voisins ou sur les bords du torrent de la Lepenitsa, ces grossiers enfans des muses encore dans leurs haillons de bergers et souvent déjà vieux. Récitant à haute voix leurs leçons, ils s’épuisent à introduire dans leur dure cervelle les mystères de la science ou de la poésie classique. L’avenir n’aura-t-il pas une récompense pour ces obscurs et patiens efforts ?

Les habitans des villes ont subi la double et fatale influence des mœurs turques et du luxe allemand ; seuls les habitans des campagnes ont conservé dans toute sa force le type de la nationalité serbe, type éminemment oriental, par cela même qu’il est profondément slave. L’esprit de tribu, ce principe des sociétés asiatiques, n’est point encore éteint dans la Serbie ; on y voit, dans certains districts, les familles alliées se grouper en confréries (bratstva). Chacune de ces confrérie ou tribus a un président qui, sous le nom de knèze ou hospodar, est à la fois le juge-de-paix et le patriarche de toute la knéjine ou du district que possède la tribu. La dignité de knèze est dans certains lieux élective, dans d’autres héréditaire ; mais cette hérédité ne constitue nullement une noblesse territoriale, puisque le même sang coule dans les veines de tous les enfans de la tribu, qui ne forment qu’une famille et sont tous également nobles : aussi voit-on les sociétés ainsi organisées tendre à la démocratie. En effet, si le système aristocratique est ordinairement le fruit de la conquête et de l’oppression exercée par une race guerrière, la vie de tribu semble l’état primitif des peuples encore libres du joug étranger. On retrouve cette organisation patriarcale chez toutes les races autochtones d’Europe, les Ibères, les Gaulois, et même chez les premiers citoyens de Rome, où les tribus, sous le nom de familles Tarquinia, Fabia, Appia, etc., formaient la base de l’organisation des curies et le rempart des libertés populaires. La vie de tribu développe, avec les progrès de la civilisation, un puissant élément municipal qui est la plus forte garantie des nationalités. Cette forme vénérable et naïve de nos pre-