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proprier plus complètement tous les trésors entassés depuis des siècles dans les konaks des spahis, les hospodars excitaient le fanatisme de leurs bandes. Tout Turc qui refusait le baptême périssait dans les plus cruelles tortures ; les enfans étaient coupés en morceaux, les femmes éventrées ou réduites en esclavage, au nom du Christ. Bientôt on ne vit plus dans toute la Serbie un seul Turc. Mais cette victoire ne profita qu’aux chefs, et quand il s’agit d’organiser le nouveau gouvernement, ce fut une oligarchie qui sortit de ce chaos.

Chaque voïevode conserva l’autorité civile sur le district qu’il avait conquis, et s’y fit obéir à l’aide de ses momkes, gardes qui, nourris par lui, le défendaient envers et contre tous, et le soutenaient comme les vassaux nobles de la féodalité défendaient leurs suzerains. Le peuple, qui avait fait la guerre à ses frais sans demander la moindre solde, restait indigent après comme avant le triomphe, se reposant avec confiance sur l’égalité de droits qui allait exister entre les riches et les pauvres, jusqu’alors réunis par l’égalité de l’oppression. En attendant, les chefs militaires accaparaient les spahiliks et les anciens biens nationaux confisqués sur les Turcs. Bientôt ces chefs grossiers en vinrent à menacer la liberté publique. Ils parurent armés aux assemblées nationales, et entravèrent par la violence les discussions des diètes ; ils allèrent jusqu’à exiger des paysans dans quelques nahias la dîme et les robotes (corvées), comme sous les Turcs. La féodalité, qui naît ordinairement de la conquête, allait naître pour la Serbie de son émancipation même. Le peuple, indigné, se coalisa contre les hospodars, et après plus d’une lutte sanglante, il investit de la dictature le roi des haïdouks, le père des prolétaires, George le noir ou le proscrit. Ce triomphe de la volonté populaire était un coup terrible porté à la souveraineté des hospodars. Mais le parti vaincu ne se laissa point abattre ; il se hâta d’invoquer l’ordre légal, et du consentement même du nouveau dictateur, les hospodars envoyèrent, en 1805, demander secours et conseil au tsar russe. Leur député fut le prota (archipope) Mathieu Nenadovitj. Ce jeune homme possédait à la fois les sympathies du parti des hospodars et du parti populaire. Son père, Alexa, déserteur d’un des régimens iliriens que l’empereur Joseph envoyait contre la France, était passé dans la sauvage Serbie, où, sachant lire et écrire, il avait été reçu comme un grand homme. Devenu knèze de Valiévo, il s’était fait bénir dans toute sa nahia ; aussi les Turcs, après avoir plusieurs fois tenté d’assassiner Alexa, l’avaient-ils enfin, lors de l’insurrection, choisi pour leur première victime. Le fils de