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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/834

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REVUE DES DEUX MONDES.

tection du tsar, les hospodars obéirent aux injonctions de Nedoba et congédièrent leurs bandes au moment même où l’ennemi envahissait de tous côtés les frontières. Les hordes musulmanes s’avançaient en éventrant les femmes et jetant les petits enfans dans l’eau bouillante, par une cruelle parodie du baptême. Les Serbes expiaient dans d’affreux supplices leur propre fanatisme ; triomphans en 1804, ils avaient aussi martyrisé des milliers d’Ottomans et baptisé de force leurs enfans et leurs femmes. Alors les vieillards leur avaient dit : « Vous paierez vos cruautés un jour. » Ce jour était arrivé.

Le consul Nedoba, dont les créatures circonvenaient Tserni-George, avait bien soin de cacher ces horreurs au héros, qui restait encore ferme dans son refus de permettre à l’armée turque d’entrer en Serbie ; il exigeait qu’elle n’y envoyât que de petits détachemens, trop faibles pour opprimer, suffisans comme garnisons. De cette manière, pensait-il, le peuple aurait échappé à la vengeance musulmane. Enfin l’armée entière des Ottomans parut, et Nedoba déclara officiellement qu’elle venait d’accord avec le tsar, qu’en cas de résistance la Russie s’unirait à la Porte contre les Serbes rebelles ; qu’au contraire, s’ils se soumettaient, tous leurs droits seraient respectés. Rassuré par cette déclaration, George passa à Zemlin, croyant, par sa retraite, assurer une paix honorable à son pays et lui conserver son héroïque jeunesse pour des temps plus heureux. Alors, pour mettre fin à sa mission, le consul russe fit lui-même miner et sauter en l’air le palais du sénat, dont on voit encore aujourd’hui les ruines ; il brûla de sa main toutes les archives de l’état serbe, annales de dix années d’une gloire étrangère à la Russie, et, après cet exploit, il alla rejoindre en Hongrie les hospodars émigrés, leur annonçant qu’en Serbie tout était pacifié. La Porte n’avait donné à la Serbie que la paix du tombeau. Dans le seul mois de décembre 1814, le visir de Belgrad, Soliman, fit empaler trois cents prisonniers serbes. Ces rangées de victimes, sur leurs pieux, vivaient quelquefois trois ou quatre jours, et leur cœur palpitait encore que déjà les bandes de chiens affamés leur rongeaient les jambes et faisaient fuir les mères qui avaient espéré recueillir le dernier soupir de leurs fils. Avides de vengeance, les fils des anciens spahis étaient revenus dans toutes les palankes serbes, où ils faisaient relever par les vaincus leurs forteresses et leurs konaks détruits. Menés à coups de fouet au travail comme des bêtes de somme, sans sommeil et presque sans nourriture, les rayas succombaient en foule aux maladies épidémiques qui naissaient de leurs affreuses corvées. Néanmoins il y avait alors parmi ce