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décesseur même sa gloire passée, se plaignait amèrement dans la Gazette de Belgrad de ce que les feuilles allemandes eussent regardé Davidovitj comme l’ame du gouvernement serbe. Il poussa ses outrages envers l’ancien ministre jusqu’à le forcer dans sa retraite à signer une lettre officielle où il exprimait au kniaze sa reconnaissance pour les généreux secours accordés par lui à sa famille, séparait sa cause de celle des rebelles de 1835, surtout de celle du Lelevel serbe, de George Protitj, dont il condamnait les plans destructeurs et l’audace républicaine. George Protitj venait alors de s’enfuir à Zemlin : tant qu’il n’avait eu à affronter que les coups de bâton des valets de Miloch, il avait tenu bon, espérant toujours faire triompher son idée. Mais Miloch, malgré l’amnistie jurée et le baiser de paix donné à tous les chefs de la dernière insurrection, ne cachait plus son dessein de les faire tous exterminer ; le bruit courait même qu’il avait fait distribuer 500,000 piastres dans le divan pour faire approuver cet attentat par le cabinet turc. Invité bientôt à venir se justifier à Pojatevats, Protitj craignit d’être fusillé sur la route dans le défilé de Grotska, le long du Danube, où les momkes apostés par le prince avaient déjà fait rouler dans la rivière, sous le feu de leurs carabines, plus d’un knèze suspect à l’hospodar. Se réservant donc de revoir la Serbie dans des temps plus heureux, il donna à tous les autres chefs le signal de l’émigration.

La nation était retombée dans le silence de l’esclavage ; cette année 1836 est lugubre pour elle. Le nom de la Serbie n’est pas même prononcé dans plus de la moitié des numéros du journal officiel. On ne fait mention du pays gouverné par Miloch que pour décrire des villes illuminées et des fêtes célébrées sur le passage du kniaze. Le prince de Metternich lui envoie des décorations de la part de Ferdinand ; c’est l’occasion de nouvelles réjouissances nationales. Puis six pièces de canon avec leur train, présent de la sublime Porte, arrivent par le Danube à Kladovo, et de là à Kragouïevats, où, accueillies par mille hourras, elles sont placées devant le konak du prince pour en défendre l’entrée. Tous les anciens abus reparaissaient. Miloch considérait l’état comme une grande ferme et le peuple comme un troupeau dont il était le berger et le propriétaire. Les millions que lui rapportait ce qu’on pourrait nommer la tonte annuelle de ses sujets étaient envoyés à la banque de Vienne, et placés à intérêt en son nom, comme si c’eût été son propre argent. Il tenait dans ses mains tout le commerce de transit, et avait le droit presque exclusif de l’exportation des bestiaux. Sans traitement réglé et révocables