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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

vont directement et sans plus rien payer jusqu’à Constantinople. Ces dispositions si favorables au développement du commerce indigène, se complètent par la défense faite à tout étranger d’acquérir en son nom des biens immeubles dans le pays avant d’avoir reçu l’indigénat. Des consuls serbes sont déjà accrédités à Boukarest, à Constantinople, Vienne et dans d’autres villes allemandes, pour y veiller aux intérêts commerciaux de leur pays.

Quant aux agens diplomatiques des quatre grandes puissances, anglaise, russe, française et autrichienne en Serbie, ils se tiennent tous, excepté le consul moscovite, tellement en dehors du mouvement social des Serbes, que la plupart gèrent de la ville hongroise de Zemlin leur consulat de Serbie. C’est ainsi qu’on abandonne aux sourdes intrigues de ses ennemis une population généreuse et intelligente. Heureusement pour la Serbie, l’égoïste indifférence des grands états ne l’a pas encore ruinée sans retour. Sa position internationale est forte ; l’Autriche, qui fera tout au monde pour empêcher la Russie de s’incorporer ce pays, n’oserait de son côté y toucher elle-même par crainte de la Russie. On peut dire que la plus sûre garantie de l’indépendance des Serbes se trouve dans la jalousie mutuelle des empires autrichien et russe. La nature a d’ailleurs assuré aux Autrichiens, maîtres de la Hongrie, une action puissante sur tous les pays traversés par le Danube, où leurs bateaux à vapeur versent sans cesse l’excédant de leurs fabriques. Aussi longtemps qu’un tel débouché leur sera garanti, ils ne convoiteront que médiocrement la Serbie. Il faut, disent les diplomates autrichiens, qu’un peuple aussi turbulent que les Serbes reste démembré : nous en avons déjà la moitié sous nos lois ; si le reste nous arrivait, tous réunis nous donneraient trop à faire ; sous un même sceptre, ils s’émanciperaient, ils deviendraient forts et menaçans. Laissons-les donc se diviser de plus en plus comme les Polonais ; soutenons chez eux les prétendans ; que Mikhaïl ou Alexandre règnent, comme Poniatovski régnait à Varsovie, en attendant le dernier partage. Divide et impera.

S’il y a en Europe une puissance à qui ces partages de peuples soient odieux, elle peut agir ; la Serbie est encore un champ ouvert à tous ; quiconque voudra y conquérir de l’influence n’a qu’à s’assurer par des services réels l’amitié des chefs les plus populaires. Si le cabinet français craint d’agir publiquement, pourquoi n’essaierait-il pas au moins de provoquer par la presse les sympathies de l’Europe pour cinq millions d’hommes qui ne méritent pas sans