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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

de vue du présent était né en quelques esprits élevés le désir bien naturel d’une méthode contraire, où l’on irait d’abord à l’objet pour l’étudier en lui-même et en tirer tout ce qu’il contient.

Un historien très estimable et très méritant, M. de Sismondi, plus soucieux des sources et plus porté aux recherches originales qu’on ne l’avait été avant lui, gardait avec cela les formes de l’école philosophique ; il imposait ou du moins il accolait son opinion du jour au fait d’autrefois. Placé au point de transition des deux manières, elles se heurtaient plutôt encore qu’elles ne s’unissaient en lui.

M. de Barante, dès son premier coup d’œil, s’était montré choqué des abus de la méthode dite philosophique en histoire ; il fut conduit au désir d’en purger absolument le noble genre, et de lui rendre, s’il se pouvait, son antique sincérité. Le grand exemple présent de Walter Scott venait apporter des preuves vivantes à l’appui de cette manière, en dehors, il est vrai, du cercle régulier de l’histoire, mais si près qu’il semblait qu’il n’y eût qu’un pas à faire pour y rentrer.

En France, vers 1820, des esprits éminens s’occupaient avec ardeur, chacun dans sa voie, de cette réforme considérable. Celui qui la professa le premier et avec le plus d’autorité, le maître des théories en cette matière, M. Guizot continuait pourtant lui-même l’histoire philosophique, tout en la transformant ; il analysait les faits, les élevait à l’idée, les réduisait en élémens, les groupait enfin et les distribuait selon les vues de l’esprit ; mais comme cet esprit était très étendu, très perçant, très impartial dans l’ordre des idées, il évitait cette direction exclusive qu’on reprochait aux écrivains du XVIIIe siècle. Cependant la pratique historique laissait de ce côté à désirer ; malgré l’élévation de l’enseignement, malgré ce talent de narrateur dont il devait faire preuve à son tour dans son Histoire de la Révolution d’Angleterre, M. Guizot n’aimait pas avant tout à raconter ; on l’a dit mieux que nous ne le pourrions redire[1], l’exposition qui abrège en généralisant avait pour lui plus d’attraits ; bien des faits sous sa plume étaient resserrés en de savans résumés qui eussent pu ainsi se dérouler autrement et prendre couleur. En un mot, le talent supérieur, qu’on a vu éclater depuis sur un autre théâtre, faisait dès-lors ses réserves en quelque sorte : l’orateur parlementaire se marquait dans l’historien.

Un rapprochement, un contraste m’a dès long-temps frappé, et il vient ici assez à propos, puisqu’il s’agit de récit. Voyez le premier,

  1. Globe, 8 juin 1826.