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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

selon son heure, le relai qui lui est assigné. On prétend que le cliquetis de la ferraille suspendue à son bâton a pour but d’éloigner les serpens sur lesquels le courrier est exposé à marcher ; j’y verrais plutôt quelque chose de pareil aux grelots et aux clochettes des mules d’Espagne, un bruit joyeux qui distrait le coureur solitaire, fait lever la tête aux femmes assises sur le seuil de leurs cabanes, et annonce à tout le village le passage du tapal.

Une fois sur le territoire anglais, que l’on retrouve à une petite distance de la rivière, on ne tarde pas à atteindre Couddeloure, grosse bourgade, résidence d’un collecteur. Pendant trente-trois années, de 1750 à 1783, la pagode de Trivada, située hors de la ville, fut tour à tour prise, reprise, occupée, assiégée par les Français et les Anglais. Mêlée aux querelles des deux nations rivales, troublée dans son repos, dans son recueillement contemplatif, par des guerres incessantes, persécutée dans ses croyances par le fanatisme des nababs musulmans, la population hindoue devait rester au fond fort indifférente aux chances d’une lutte où il s’agissait seulement pour elle de changer de maître ; peut-être même ressentait-elle une antipathie secrète pour les alliés d’Hayder-Ali et de Tippoo, qui décapitaient avec leurs candjiars les statues des pagodes. En 1678, les Français, expulsés de San-Thomé par les Hollandais, étaient venus s’établir dans la bourgade de Poudou-Chereri (Pondichéry), conduits par un aventurier du nom de Martin, un de ces hommes énergiques toujours prêts à se sacrifier pour une patrie qui jamais peut-être ne gardera leur souvenir. Le radja de Gengee céda aux colons un petit territoire, dont plus tard, malgré les instances des Hollandais, alors tout puissans dans l’Inde, il refusa de les chasser. Peu d’années après, la bourgade, devenue ville forte, donnait asile au radja d’Arcot, battu par les Mahrattes, et, par suite des nécessités de la guerre, les Français de Pondichéry vinrent un jour s’emparer eux-mêmes de Gengee, forteresse perchée sur un roc inaccessible, et qu’il était important de ne pas laisser aux Anglais. Les radjas durent donc se repentir de l’hospitalité accordée gratuitement ou vendue aux Européens ; forcés d’embrasser un parti, de céder leurs palais, leurs citadelles, jusqu’à leurs temples, ils expièrent la faute involontaire qu’ils avaient commise en préparant, sans le savoir, la ruine de leur pays. Doit-on s’étonner que la Chine, instruite de ces évènemens qui s’accomplissaient dans son voisinage, se soit entêtée jusqu’à la fin à profiter d’une si terrible leçon !

Au milieu du siècle dernier, la population de Couddeloure était évaluée