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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

nues, portant au bout d’un bâton le shako et la culotte d’ordonnance, ils cheminaient bravement la nuit, sans redouter les voleurs, qui inspirent aux Hindous une crainte excessive. Les vols doivent être assez fréquens dans les chauderies, puisque, d’heure en heure, un tchaokidar (homme de police) fait sa ronde avec une cresselle pour avertir les dormeurs que le chien veille au repos de la bergerie. Deux espèces de mendians abondent surtout dans ces caravanseraïs ; les lada-sanyassis (pénitens nus), aux cheveux en désordre, au regard abruti, qui sont arrivés, par de honteux libertinages, à amortir leurs passions ; et les faquirs, religieux musulmans, qui, à la différence des sanyassis, adressent plus particulièrement leurs demandes d’aumônes aux Européens ; ils vont ceux-ci d’une pagode à un étang consacré, ceux-là d’une mosquée au tombeau d’un santon, voyagent en toute saison, et vivent de la poignée de riz que leur accorde la charité publique. Ces êtres passent leur vie dans la plus complète indépendance ; comme les oiseaux, ils trouvent la pâture au bord du chemin ; comme eux aussi, ils supportent la faim et la soif, mais ils inspirent moins de pitié que de dégoût ; car les prescriptions les plus vulgaires de la morale semblent inconnues au musulman contemplatif, et la métaphysique ténébreuse du gymnosophiste hindou ne produit en lui que le cynisme le plus révoltant.

Peu à peu nous approchons de Mahabalipouram ; déjà se montrent des rocs pareils à ceux qui recèlent les sculptures célèbres ; sur une de ces collines formée de grosses pierres détachées les unes des autres tinte une clochette, et de toutes parts arrivent, par les sentiers poudreux, du fond de la plaine, du milieu des buissons, des jeunes gens de bonne caste portant le cordon d’investiture en sautoir, et sur la poitrine le lingam enfermé dans une petite boîte d’argent. Derrière eux, à part et se tenant par la main, marchent des jeunes filles, le front frotté de poudre de sandal, ornées de leurs plus beaux bracelets. Sur leurs cheveux noués avec soin brille aux derniers rayons du soleil la plaque d’or ; à leurs oreilles, à leur nez pendent de longues boucles ; elles ont sur le front des couronnes de polyanthus, et toutes se taisent, s’arrêtent et baissent les yeux en apercevant un Européen. Mais bientôt cette population empressée que la cloche semble faire sortir de dessous terre serpente au milieu des rochers, se groupe à la suite d’une procession, circule en files interminables dans les anfractuosités de la colline, où elle disparaît aux yeux ; puis les têtes se laissent voir encore sur la cime de cette petite montagne d’où partent des chants, des bruits de tambours et de trompettes, et derrière