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REVUE LITTÉRAIRE.

et femme vertueuse, se fait nommer dame de charité, se met de toutes les quêtes et conserve un secret commerce avec son indigne amant. C’est à cet endroit de son existence que se termine l’histoire de Dinah. Il n’est pas un seul des ouvrages de M. de Balzac où se montre d’une façon plus saisissante et plus complète que dans ce dénouement l’attraction continuellement ressentie par l’auteur de la Physiologie du Mariage pour les irritantes saveurs de la corruption.

Le style est loin de racheter, dans Dinah Piédefer, la choquante intimité des détails où nous fait entrer à chaque instant le sujet. Le déshabillé du langage y est souvent aussi complet que celui de la pensée. M. de Balzac n’est pas encore parvenu tout-à-fait au même point que M. Soulié, mais nous ne doutons point qu’il n’y arrive en peu de temps. Lui aussi, comme romancier, manque de cette distinction native qui pourrait seule paralyser l’influence des habitudes mercantiles. Ce milieu entre l’affectation et la vulgarité dans lequel réside le naturel, c’est-à-dire ce qui constitue le ton des bons livres comme celui de la bonne compagnie, lui est complètement inconnu. Lorsque ce n’est point Mlle de Scudéry qu’il rappelle, on ne peut dire à quels écrivains il fait songer. La forme de Dinah Piédefer est donc continuellement défectueuse ; quand à ce qui regarde le fond même, ce livre renferme, on doit le reconnaître, deux parties bien distinctes. Dans la première, on retrouve, quoique très affaibli, le talent incontestable de M. de Balzac pour les peintures de la vie de province. L’auteur d’Eugénie Grandet est le seul de nos romanciers qui puisse donner un caractère mélancolique et railleur à des observations d’habitude empreintes d’un sceau vulgaire, qui sache trouver une sorte de mystérieuse poésie pour le salon aux ornemens de mauvais goût où le curé fait un boston avec des douairières, tandis que le procureur du roi débite des complimens plus empesés, plus raides que sa cravate, à une femme de trente ans toute lamartinisée, pour créer un mot qui serve de pendant au jean-paulisé d’Hoffmann. Tant que Dinah reste à Sancerre, le roman a de l’intérêt et quelque grace ; mais une fois l’héroïne à Paris, le charme disparaît, on ne rencontre plus, dans ces pages qui tout à l’heure faisaient sourire, que des révélations dont on rougit, et un fiel dont on se lasse. L’amour-propre de M. de Balzac a été tellement meurtri, qu’il a maintenant acquis un gonflement excessif et une sensibilité douloureuse. Voilà tout le secret de l’amertume qu’on trouve au fond de chaque nouvelle tentative littéraire que fait l’auteur de Quinola et de Vautrin. Le public, chez qui ce sentiment constant de haine ne peut éveiller nulle sympathie, l’a repoussé dans deux drames tués de leur chute, et, il y a quelques mois, dans un pamphlet mort par suite d’abandon. M. de Balzac ne veut point profiter de ces leçons successives ; toute la bile qu’il ne peut plus déverser ailleurs, il la met aujourd’hui dans le roman. La préface de la Comédie humaine ne renferme pas plus d’épigrammes acerbes contre la critique que Dinah Piédefer. Encore, nous ne nous servons du mot épigrammes que pour employer une expression polie et littéraire, car c’est injures qu’il faudrait dire. M. de Balzac trans-