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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/1005

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REVUE LITTÉRAIRE.

les yeux humides de la présidente, chaque sourire qui relève aux deux coins la bouche mignonne de la marquise, chaque mot qui tombe des lèvres paresseuses du chevalier, soient un regard, un sourire, un mot, que le pinceau de Boucher aurait pu me peindre et la plume de Laclos me transcrire. Ce qu’on peut craindre pour M. Auguste Maquet, qui est encore à l’époque féconde des débuts, mais dont le Beau d’Angennes n’est pas le premier, ni je crois même le second roman, c’est qu’il ait pris, dans des travaux faits avec négligence et peut-être déjà trop nombreux, quelques-unes de ces habitudes de précipitation qui perdent la littérature actuelle. Nous sommes persuadé cependant que le temps des études heureuses et des rapides progrès est bien loin d’être passé pour lui.

Il est impossible de voir deux destinées littéraires s’annoncer d’une façon plus différente que celle de M. Maquet et celle de M. Leroux. Édouard Aubert est l’opposé d’un mousquetaire ; c’est un garçon honnête et religieux qui sacrifie toutes les jouissances de sa jeunesse aux scrupules de sa conscience. Le roman de M. Leroux n’a pas été précédé par d’autre œuvre que par le sincère et enthousiaste recueil de vers qui doit être dans les bagages de tout homme de vingt ans d’une constitution morale bonne et généreuse au moment où il entre dans la vie. M. Leroux a franchement produit au jour, il y a, je crois, une année, ses jeunes poésies, et maintenant il lance dans le public un roman qui prouve que son talent commence à mûrir et que son ame est toujours candide. Une pauvre famille de Bretagne a employé des économies laborieusement acquises à l’éducation d’un enfant sur qui reposent ses espérances et son orgueil. Cet enfant, Édouard Aubert, devient un homme intelligent et instruit, mais nul soin n’a pu faire naître en lui un germe que le ciel n’y avait pas déposé, le germe de ce génie victorieux dont les ailes peuvent seules faire franchir au fils du pauvre les abîmes qui séparent les régions où il est né des régions auxquelles il aspire. Édouard Aubert reconnaît vite son impuissance. Arrivé à cet instant plein d’angoisses de la vie où l’on décide soi-même de sa destinée, il comprend qu’il n’y a point pour lui moyen de parvenir avec honneur aux lieux d’où sa condition l’éloigne. Son talent n’est pas de force à le porter aux cimes qu’il a un instant entrevues, et son front rougit à la seule pensée de l’aide honteuse que pourrait lui offrir l’intrigue. Quel part prendra-t-il donc ? Une ressource encore pourrait rester à son amour-propre, celle de maudire la société qui le condamne à languir dans des rangs infimes ; mais cette triste ressource, son bon sens et sa droiture lui défendent d’en user. Édouard Aubert, après la douleur inséparable de la fatale découverte qu’il a faite dans son propre cerveau, se résigne courageusement. Il supportera la médiocrité de son intelligence, comme il s’était habitué à supporter celle de sa fortune. Il quittera Paris, où n’a rien à faire celui que l’ambition abandonne, et, de retour dans son pays natal, il mettra au service d’un petit nombre des lumières qui auraient été perdues s’il avait voulu s’obstiner à les faire briller pour tous. Ce qui rend cette résolution douloureuse au suprême degré et fait tout le sujet du roman, c’est qu’une autre ame que