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REVUE. — CHRONIQUE.

et déjà on commence à n’avoir plus confiance en lui. Ce n’est pas qu’on se tourne vers d’autres, car on sent qu’il est encore l’homme indispensable ; mais on est mécontent, on est découragé, et, en ce moment, sir Robert Peel trouve à peine une voix pour le défendre dans toute la presse anglaise.

Il y a une certaine injustice dans cette réaction qui se fait en Angleterre contre sir Robert Peel. On va trop vite dans le désappointement comme on avait été trop loin dans l’espoir. Si l’homme a été au-dessous des évènemens, c’est que les évènemens étaient trop forts pour les ressources humaines. Si le budget n’a pas été rétabli du premier coup, cela prouve seulement qu’il était très malade, et qu’il a besoin d’une plus longue convalescence. Cependant il y a un point sur lequel sir Robert Peel est plus vulnérable, c’est l’Irlande.

Le gouvernement de l’Irlande a toujours été le côté faible des tories. Vous connaissez cette phrase si souvent citée que prononça sir Robert Peel quand il quitta le ministère en 1835. « L’Irlande, dit-il alors, était ma grande difficulté. » En effet, il n’était pas encore, à cette époque, assez le maître de son parti pour pouvoir le rendre modéré ; et, d’un autre côté, tenter de gouverner l’Irlande par les orangistes, c’était y provoquer infailliblement une révolte et une guerre civile. Six années s’écoulèrent pendant lesquelles les whigs gouvernèrent, ou plutôt administrèrent humainement l’Irlande, et y adoucirent la violence des passions de parti ; et pendant lesquelles aussi sir Robert Peel forma et organisa le parti puissant qui prit le nom de parti conservateur. Quand, en 1841, il revint au pouvoir, il semblait avoir perdu toute inquiétude au sujet de l’Irlande, résolu qu’il était à ne rien changer à la politique qu’y avaient suivie ses prédécesseurs Ce fut là que le coup d’œil si clairvoyant de cet homme d’état fut mis en défaut. Sir Robert Peel crut avoir tout fait en nommant au gouvernement de Dublin un homme doux et faible, et il oublia que la neutralité était impossible en Irlande. Il eut un système de politique négative ; il ne fit point de mal, mais il ne fit point de bien ; il ne fit rien, ce qui est toujours un grand tort pour un gouvernement. Pendant un an, cette sécurité sembla justifiée ; l’Irlande ne bougea pas ; M. O’Connell, qu’on nous passe le mot, fit le mort ; il parut se contenter de se faire nommer lord maire et de parader dans son costume officiel. Les murmures confus qui de temps à autre se faisaient jour étaient perdus dans le tumulte des grands débats dont retentissait alors le parlement anglais. On parlait de la Syrie, de la Chine, de l’Afghanistan, des céréales, de l’income-tax, que sais-je encore ? du droit de visite, si vous voulez, et on oubliait l’Irlande et les trésors d’amertume qu’elle amassait dans l’ombre et dans le silence. Mais voici que tout à coup la difficulté reparaît. Le nuage, qu’on n’avait pas vu poindre à l’horizon, grossit et s’avance, et l’on s’aperçoit avec étonnement qu’il est près d’éclater.

Qu’y a-t-il donc de changé ? Rien que les hommes au premier abord, car les choses semblent être restées les mêmes. Mais c’est ici, monsieur, qu’apparaissent toutes les difficultés d’un gouvernement tory et exclusivement protestant en Irlande. Il ne faut pas croire qu’on puisse secouer son passé comme on secoue la poussière de ses souliers. De durs, de cruels, de sanglans souvenirs sont associés, dans le cœur des Irlandais, au seul nom des tories. Les