Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/1021

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1015
REVUE. — CHRONIQUE.

que ceux de la Nouvelle-Zélande ; leurs prêtres étaient des « brigands en surplis », qui faisaient du confessionnal une école d’assassinat, la reine était ouvertement menacée, et on lui rappelait son serment ecclésiastique. Tout cela réussit, monsieur ; le vieux levain protestant fermenta de nouveau sur tous les points de l’Angleterre ; le jour des élections arriva, l’église entra dans la lice avec toutes ses forces, et le gouvernement whig, c’est-à-dire l’Irlande, fut balayé comme par un coup de vent.

C’est là, monsieur, qu’il faut aller chercher la source, ou du moins la cause la plus immédiate du soulèvement qui se fait aujourd’hui en Irlande contre le gouvernement tory. Il faut bien se souvenir que les dernières élections ont été faites surtout par le parti de l’église dominante contre le parti de l’Irlande, et non pas précisément du catholicisme, mais de l’égalité religieuse. C’est l’Irlande, plus que le parti de la réforme, qui a été vaincue dans les élections, comme elle le fut autrefois par l’invasion.

Vous étonnez-vous maintenant que l’Irlande soit de nouveau remuée jusqu’aux entrailles ? Ce gouvernement, quoi qu’il fasse, avant même qu’il agisse, n’est-il pas déjà à ses yeux une personnification nouvelle de la conquête ? C’était là ce qu’il fallait comprendre, c’était là ce que devait voir sir Robert Peel. Il devait se hâter de détromper l’Irlande, de lui montrer que les conservateurs d’aujourd’hui n’étaient pas les tories d’autrefois. Il devait avancer, et il s’est borné à ne pas reculer. Il n’a pas su avoir en Irlande le rare courage, l’éclatante audace qu’il a montrés en Angleterre. Cet homme qui, aux prises avec l’aristocratie territoriale, l’aristocratie monétaire et l’aristocratie ecclésiastique de son pays, a su faire plier toutes les volontés rebelles devant sa volonté et devant la perspective d’une banqueroute, n’a pas su dompter la turbulente minorité protestante et orangiste qui domine la camarilla de Dublin. Il a tout osé en Angleterre ; il n’a rien osé en Irlande. Mal lui en a pris. Sa difficulté, la difficulté proverbiale, est revenue le prendre comme par surprise ; elle a reparu sous la forme très visible et très palpable de M. O’Connell entraînant sur ses pas une bien autre queue que celle qu’il avait dans la chambre des communes, une queue de plusieurs millions d’hommes.

Je ne veux pas exagérer l’importance, ou du moins la signification du mouvement qui se fait aujourd’hui en Irlande. Je vous dirai tout d’abord que je crois le rappel de l’union absolument et radicalement impossible, et je crois que cette conviction est partagée par quiconque a tant soit peu étudié les affaires de la Grande-Bretagne.

Il y a quinze ou vingt ans, M. Canning s’écriait : « Révoquer l’union ! autant rétablir l’heptarchie ! » Proposer dans la chambre des communes la séparation de l’Angleterre et de l’Irlande, c’est comme si on proposait dans notre chambre des députés le rétablissement de la langue d’oil et de la langue d’oc, ou du royaume de Provence, ou des états de Bretagne, en un mot le démembrement de la monarchie. Placée entre le continent américain et le continent européen, la Grande-Bretagne, le royaume-uni, ne peut se maintenir que par la concentration de toutes ses forces dans une seule main. Demander à l’Angleterre le démembrement de l’union, c’est lui demander le suicide.