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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/203

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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

pagne quand rien n’est encore fixé, ni le gouvernement, ni les mœurs, ni les croyances, que peut-on demander de plus au poète que la diversité ? Ne doit-il pas représenter dans ses œuvres les hésitations, les tâtonnemens, les expériences de toute sorte, les emprunts souvent contradictoires, la confusion des souvenirs et des espérances, toute cette marqueterie d’une société qui se décompose et qui aspire à se recomposer autrement ?

Nous aimons moins le théâtre de Zorrilla, non qu’il n’y ait aussi du talent et beaucoup, mais parce qu’il nous semble moins près du but que les contes. Il est vrai qu’on ne peut guère s’en prendre à lui. De toutes les questions littéraires, celle du théâtre est la plus difficile partout, et elle se complique encore en Espagne de difficultés particulières. Le développement littéraire de l’ancienne Espagne a été surtout dramatique. Toute l’Europe a long-temps admiré, à l’exclusion de tout autre, ce magnifique théâtre, dont les productions se comptent par milliers. Vingt auteurs dramatiques, dont le moindre serait célèbre partout ailleurs, ont illustré les deux grands siècles de l’Espagne ; d’autres en foule dorment encore inconnus dans la poudre des bibliothèques. Les trois quarts des pièces qui ont été jouées sur toutes les scènes étrangères sont imitées de celles-là ; dans ce trésor intarissable d’esprit, d’observation, d’intrigue, de passion, de terreur, de verve comique, tout le monde a puisé, à pleines mains. Or, c’est un formidable héritage qu’une telle gloire fondée sur une telle fécondité. Faire autrement que les maîtres, c’est bien hardi ; faire comme eux, c’est impossible. Quand on a de pareils modèles nationaux, il est difficile de les abandonner et plus difficile encore de les suivre. Le genre de leurs œuvres n’est plus en rapport avec le temps présent, il faut du nouveau, et comment oser tenter du nouveau sur une scène encombrée de ces grands noms de Lope, de Calderon, de Moreto ? Le mieux serait peut-être de ne pas écrire d’œuvres dramatiques et d’attendre que la veine épuisée se rouvre d’elle-même ; mais les Espagnols sont toujours passionnés pour le théâtre, ils demandent des pièces à tout prix, et comment laisser le théâtre désert dans la patrie même du théâtre ?

La plupart des auteurs contemporains se tirent d’affaire d’une manière fort simple ; ils traduisent tout bonnement les pièces nouvelles du théâtre français, et ne s’inquiètent pas davantage de la gloire dramatique de leur pays. Zorrilla n’a pas voulu faire comme eux ; son ambition est plus haute et plus nationale. Sa première comédie a paru au mois d’août 1839 ; elle avait déjà été précédée de quelques