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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/211

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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

ne peut l’atteindre, et plus il se perd dans les détours obscurs de la ville, plus on entend la voix répéter son refrain dans l’éloignement. Enfin, dans le Vaillant Justicier, de Moreto, don Pèdre, passant la nuit près d’une chapelle, est arrêté par un fantôme qui s’empare de son poignard ; don Henri passe par hasard un moment après et ramasse le poignard qu’il trouve par terre. Chacune de ces trois scènes ne se lie en rien à l’action du drame où elle se trouve, elles sont là seulement pour rappeler l’inévitable loi du destin. La dernière surtout est d’un effet terrible.

C’est cette figure originale de don Pèdre que Zorrilla a voulu ramener sur la scène de notre siècle, en l’entourant de circonstances aussi nouvelles que possible. Dans les drames de l’ancien théâtre, excepté peut-être le Vaillant Justicier de Moreto, don Pèdre n’intervenait d’ordinaire que comme un personnage épisodique. Zorrilla en a fait au contraire son personnage principal. Dans la première partie du Savetier et le Roi, don Pèdre déjoue, à force d’intrépidité, une conspiration tramée contre lui ; le sujet de la seconde partie, qui s’est appelée aussi la Nuit de Montiel, n’est autre que sa mort tragique. Cette seconde partie a eu un grand succès en Espagne ; elle contient en effet quelques scènes assez vigoureusement tracées. Cependant elle nous paraît encore loin de ce que peut et doit être le nouveau théâtre espagnol, s’il parvient à se constituer. Une grande partie du succès est due peut-être à des circonstances extérieures. La Nuit de Montiel est la représentation de l’un des évènemens les plus populaires de l’histoire nationale ; elle a de plus été jouée dans un temps où l’Espagne était fort irritée contre une prétendue intervention de la France dans ses affaires, et comme les Français commandés par Duguesclin jouent un rôle fort peu honorable dans la pièce, les allusions politiques ont dû être saisies avec empressement. Pour que le succès soit légitime et durable, il doit être obtenu par d’autres moyens. Le Savetier et le Roi est un progrès dans la manière de Zorrilla ; il y montre l’intention louable de marier le procédé dramatique de Shakspeare à celui de Calderon, mais il a encore beaucoup à faire pour en venir à bout.

Nous dirons peu de chose de ses deux dernières pièces, l’Écho du Torrent et les Deux Vice-Rois, jouées en 1842. Toutes deux commencent assez bien, mais elles ne tardent pas à tourner au mélodrame. Le sujet de l’Écho du Torrent est encore emprunté à l’une des légendes de l’auteur, celle qui a pour titre un Espagnol et deux Françaises, et il est beaucoup mieux traité dans le poème que dans