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LE SALON.

Maria n’est ni morte, ni vivante, ni même endormie. On la dirait tout simplement peinte d’après la bosse : elle a le modelé ferme, rond, poli et régulier du marbre ou du plâtre. La manière dont le sujet est éclairé prête au pittoresque. Le foyer de lumière, une lampe sans doute, est placé derrière un rideau et projette d’en haut une lueur vive sur quelques points, la plus grande partie des autres restant dans l’ombre. On peut croire que cet effet un peu fantasmagorique a sa bonne part dans l’impression lugubre de cette scène sépulcrale. Il est possible aussi que M. Cogniet ait voulu faire allusion à une habitude du Tintoret, qui peignait souvent aux flambeaux.

M. Cogniet est un artiste d’un talent facile, souple, varié ; il a de l’intelligence, de la science et du métier, mais il n’est pas sûr que tout cela eût suffi seul pour rassembler la foule devant une de ses toiles. Est-ce l’art qu’on admire dans son Tintoret ? Il est bien évident que non. Ôtez à cette scène d’abord le nom de Tintoret, qui est, on ne sait pourquoi, des plus connus parmi le grand public, et mettez à la place, par exemple, celui de Luca Signorelli de Cortone, duquel on raconte aussi une aventure à peu près semblable, avec cette différence seulement qu’il s’agissait d’un fils et non d’une fille ; ôtez, ce qui vaudra mieux encore, le sens anecdotique et mélodramatique du sujet ; ôtez enfin la fantasmagorie de la lumière, que restera-t-il dans ce tableau ? Tout juste, si l’on nous passe les termes, la dose d’art suffisante pour que la vertu des autres ingrédiens ne manque pas son effet. L’exécution de cette peinture a des qualités sans doute ; elle est assez vigoureuse, elle a du ressort et du corps, mais elle est toute de pratique ; elle sent le procédé, le métier. Tout est peint de la même manière ; il n’y a qu’une touche, qu’un ton pour chaque partie. Le bois est traité comme les chairs, les chairs comme les étoffes ; on pourrait, sans qu’on s’aperçût de la substitution, mettre un morceau de la main du Tintoret sur la palette qu’elle tient, et un morceau de la palette sur le linceul de la jeune fille. Enfin, dans l’ensemble comme dans les détails, on voit les petites ressources du technique plutôt que l’empreinte d’un art franc et puissant.

On peut du reste très bien s’assurer de ce qui serait resté dans le tableau de M. Cogniet, privé de l’élément dramatique, en se transportant devant quelques autres de ses toiles, par exemple devant les deux Enfans assis sur une escarpolette ; ce sont de simples portraits, il est vrai, mais il en a fait une composition, un tableau. Quelqu’un a-t-il regardé cette toile, et s’est-on même informé à qui elle ap-