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DES INTÉRÊTS FRANÇAIS DANS L’OCÉANIE.

Ce fut dans les derniers jours de 1836, que MM. Laval et Caret, quittant l’île de Mangavera, pénétrèrent à Taïti. Après une série d’accidens et d’aventures dont le récit emprunte un charme extrême à sa naïveté même, ils furent admis près de la reine Pomaré. Cette princesse les accueillit avec bonté, et reçut les modestes présens des pauvres prêtres : c’était une sorte d’autorisation tacite de résider dans ses domaines ; mais l’arrivée des prêtres français était à peine connue que les méthodistes avaient pris l’alarme. Maîtres du gouvernement et des finances du pays, ayant le monopole exclusif de son commerce extérieur, il était impossible que la reine résistât long-temps à leurs sommations menaçantes.

Les deux étrangers ayant refusé de partir, et s’étant placés sous la protection du consulat des États-Unis, les méthodistes n’hésitèrent pas à consommer un acte qui n’a pas besoin d’être qualifié. Le 12 décembre, au moment où ils célébraient la messe, ces deux prêtres furent saisis dans leur domicile, agenouillés au pied de la table qui leur servait d’autel. Comme ils avaient pris la précaution de barricader les portes et les fenêtres, les agens de M. Pritchard pratiquèrent une ouverture dans le toit de bambou de cette case indienne, et ce fut ainsi qu’on pénétra jusqu’à eux. Portés de force à bord d’une goëlette anglaise et dépouillés de tout, ils furent conduits à Valparaiso. C’est là le fait qui, dans la polémique d’une feuille ordinairement mieux inspirée, est présenté comme un vain prétexte à l’intervention de la France.

Au surplus, que les dissidens se rassurent, que les tréteaux d’Exeter-Hall soient sobres d’injures contre la Babylone écarlate et l’ambition de notre gouvernement. Celui-ci n’usera pas de représailles : la France saura pratiquer la liberté religieuse à l’extrémité du monde aussi bien que chez elle. Si le méthodisme ne résiste pas à cette épreuve solennelle, il pourra sans doute le regretter, mais il n’aura en bonne justice aucun reproche à nous faire. Sans dévier jamais des grands principes de liberté que nous représentons, et qui sont notre force et notre honneur dans tout l’univers, laissons donc faire à la Providence et au temps ; ouvrons un monde nouveau à la lutte des doctrines, à la concurrence des dévouemens, et, quelles que puissent être nos convictions personnelles, n’oublions jamais, au point de vue politique, qu’au dehors le catholicisme, c’est la France.


Louis de Carné.