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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

Si le Monopole universitaire n’est pas encore arrivé chez vous, vous pourriez, monsieur, vous en faire une idée en relisant le Père Duchêne ; c’est le même style et presque le même langage. On y rencontre la même violence, un peu plus de haine, et les mêmes fautes de grammaire. À plusieurs égards, c’est un livre très instructif qui mérite d’être lu. Si j’avais l’honneur d’être grand-maître de l’Université, je le ferais réimprimer à dix mille exemplaires et distribuer dans toute la France. Ce serait là, à mon avis, la meilleure réponse qu’on pût donner aux gens qui, dans l’intérêt du clergé, demandent la liberté illimitée de l’enseignement Toutefois, on pourrait déclarer dans un avertissement que, malgré les guillemets et l’italique employés à profusion dans ce livre, les citations sont presque toujours altérées ou falsifiées[1]. Au reste, un tel avertissement ne serait nécessaire que pour un très petit nombre de personnes, car, en lisant ce français qu’on nous donne pour du Voltaire et du Rousseau, il est impossible de ne pas s’apercevoir de la falsification.

Cet ouvrage est fort divertissant ; mais ce qui l’est moins, monsieur, c’est de voir quelles sont les gens qui se posent aujourd’hui comme les organes du clergé français, et qu’il n’ose pas désavouer. Non-seulement la congrégation n’a pas désavoué le Monopole uni-

  1. Cette accusation est grave, et pourtant tout lecteur qui voudra vérifier quelques-unes des citations du Monopole universitaire reconnaîtra ces falsifications. En voici quelques exemples pris au hasard. Si M. Guizot écrit dans son Histoire de la Civilisation en Europe : « Malheureusement il est aisé de passer du besoin de la liberté à l’envie de la domination ; c’est ce qui est arrivé dans le sein de l’église : par le développement naturel de l’ambition, de l’orgueil humain, l’église a tenté d’établir non-seulement l’indépendance, etc., » on lui fait dire (en ayant l’air de le citer textuellement) : L’église catholique ou l’indépendance de la religion est un développement naturel de l’ambition, de l’orgueil humain. (Le Monopole universitaire, p. 87.) On fait moins de façons avec Voltaire. On forge entièrement (ibid., p. 117) un paragraphe qui commence ainsi : Fénelon n’est qu’un hypocrite, un ambitieux, un incrédule, et qu’on donne comme étant extrait textuellement du Siècle de Louis XIV, où on le chercherait vainement. À ce propos, on indique le chapitre XLIII de cet ouvrage, qui n’en contient que trente-neuf ; c’est un procédé fort commode pour se mettre à l’aise en citant. Pour mon compte, je serais désireux qu’on voulut bien m’indiquer dans mes écrits les endroits où j’ai pu dire que Pascal était d’une dégoûtante malpropreté, et que les papes, les évêques, les grands, ne sont également que des… vendeurs d’indulgences, entourés de bûchers, traîtres, assassins, rôtisseurs d’écrivains célèbres. Ces expressions, qu’on m’attribue dans le Monopole universitaire (p. 19 et 118), ne sont pas de moi. La falsification est-elle donc un péché véniel ?