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tisans d’un système plus libéral, d’autres ont émigré, et aujourd’hui l’on ne cite pas un seul ecclésiastique qui fasse figure dans la politique ou dans la société. Il est vrai que la chambre des représentans a pour président un prêtre ; mais on assure que c’est un homme complètement nul, et nous n’avons pas de peine à le croire. Le général Rosas ne laissera certainement s’élever auprès de lui, soit dans l’armée, soit dans l’administration civile, aucune capacité qui puisse lui porter le moindre ombrage ; il serait aussi jaloux de l’influence des prêtres, que de toute autre, et n’a rien négligé pour en faire les plus méprisables instrumens de sa politique. Le dernier évêque créé dans une des provinces de la confédération argentine a dû prêter serment d’engager les fidèles, même au tribunal de la confession, à porter la devise rouge, comme si ce n’était point dégrader la religion que d’abaisser le ministère du prêtre et de l’évêque à propager cette odieuse et ridicule livrée de la servitude. Tout récemment, on a fusillé quatre prêtres avec des circonstances atroces, et le caractère sacerdotal joint à la vieillesse n’a pu sauver de la persécution aucun homme soupçonné d’être hostile à ce qu’on appelle la cause fédérale.

D’ailleurs, autant que nous en avons pu juger, la population de Buenos-Ayres n’est pas intolérante, et porte très légèrement le joug des obligations et des pratiques religieuses. C’est une religion toute en dehors, sans fanatisme, et qui ne gêne pas les passions. On s’agenouille dans la rue quand passe un prêtre portant les derniers sacremens à un malade, mais on se relève pour aller à ses plaisirs avec la légèreté et la mobilité d’impressions qui sont le fond du caractère créole, et qui, dans les revers de fortune, dans les malheurs de sa cause ou de son pays, soutiennent le citoyen de Buenos-Ayres bien mieux que la résignation et la haute vertu. Les protestans jouissent à Buenos-Ayres du libre exercice de leur culte ; ils ont deux temples et vont en avoir un troisième ; ils ont aussi leur cimetière, et la qualification d’hérétique n’est plus une injure.

Nous avons parlé des églises et des prêtres ; parlons des casernes et des soldats. Les casernes sont assez misérables, sauf celle du Retiro, qui domine le fleuve, et qui attire l’attention de fort loin. Isolée à l’extrémité d’une grande place, elle peut se défendre d’un coup de main, et servirait au besoin de place d’armes contre un ennemi intérieur ou une révolution dans la ville. C’est là qu’on dépose les prisonniers de guerre. Quant aux soldats, il y en avait peu dans Buenos-Ayres à l’époque de notre passage, et nous n’avons pas trouvé l’occasion de les voir réunis. Ceux que nous avons vus montant la