Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/453

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
447
LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

de la noblesse bosniaque sous les coups des vils raïas, les dahis même périrent ; la belle veuve, saisie, fut baptisée de force ; un voïevode serbe, ravi de ses charmes, l’épousa également par contrainte, non sans exciter le dépit des autres chefs, qui étaient sur le point de se battre entre eux pour cette nouvelle Hélène. Obligée de renoncer à la religion de son cœur et de ses sens, l’infortunée cachait sa rage et attendait pour s’enfuir le jour où les Turcs reprendraient Belgrad. Les Turcs revinrent et reconquirent les provinces émancipées ; mais la néophyte mal convertie avait été emmenée par son nouvel époux, et conduite en Russie, d’où elle n’est revenue qu’au temps de Miloch. Maintenant, ses espérances se sont évanouies avec sa beauté, elle n’attend plus rien des Turcs, et âgée de soixante-dix-huit ans, la Vénus des Bosniaques s’est enfin résignée à mourir renégate chez les ennemis du Koran.

L’union du visir de Bosnie avec les insurgés chrétiens n’avait été que momentanée. Quand les chrétiens, après la mort des dahis, demandèrent au chef musulman des droits civils comme garantie contre les tyrans futurs, le visir, indigné, quitta Belgrad, et regagna tristement son pachalik, décidé, quoi qu’en pût dire le sultan, à soutenir les Bosniaques musulmans, bien loin de les combattre, et à diriger leurs forces vers un but commun, celui de punir les outrages faits par les raïas à l’islamisme. Une persécution affreuse s’alluma alors contre les chrétiens de Bosnie ; elle sévit surtout durant l’année 1805, où le cruel et fameux séraskier Kouline-Kapetane, à la tête des spahis, marcha contre George-le-Noir, pillant et brûlant, même dans son propre district, tous les villages chrétiens placés sur sa route, et réduisant leurs habitans en esclavage. La Bosnie vit alors un de ses knèzes, l’héroïque Ivane, vendre tous ses biens pour racheter de la servitude un grand nombre de ses compatriotes. En récompense de cette belle action, les spahis le forcèrent à fuir le sol natal : il dut passer en Serbie, où il combattit bravement avec Miloch jusqu’à la conclusion de la paix. Devenu prince, Miloch n’a pas daigné penser à Ivane, et, donnant pour prétexte à son ingratitude l’ivrognerie du vieux knèze, il l’a laissé durant tout son règne mendier dans Belgrad, où on le voyait encore en 1840. Les Bosniaques seuls se souviennent de lui et le chantent dans leurs piesmas avec le haïdouk Tchourdja, qu’attendait une fin plus prompte et non moins triste.

Ce terrible guerrier, qui avait donné le signal de l’insurrection et remporté les premiers triomphes, après avoir aidé quelque temps les