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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/466

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REVUE DES DEUX MONDES.

cueillirent le plan héroïque des Bosniaques. Il n’y avait qu’une seule voix : À bas le sultan giaour et les idées de l’Europe ! Ces idées, en effet, entraînaient une révolution complète dans le vieil édifice de l’islamisme, elles contredisaient les mœurs, les droits établis ; tout ce qui avait eu puissance jusqu’à ce jour en Orient. Ce fut alors qu’on commença enfin à voir l’antithèse morale établie par les temps modernes entre notre Occident, avide de nouveautés et de réformes, et le vieux monde oriental, où la haine des innovations est le sentiment le plus populaire. Ici les novateurs, les hommes de progrès, sont les princes, qui imposent forcément l’oubli des vieilles mœurs aux peuples, conservateurs obstinés du passé. En Europe, au contraire, les princes soutiennent le statu quo et les antiques traditions contre l’esprit des peuples, avides de changemens. Outre l’antipathie religieuse que les réformes européennes soulevèrent chez tous les Orientaux, même chrétiens, la Bosnie musulmane avait contre ces réformes une antipathie politique d’autant plus prononcée, qu’elle voyait dans le triomphe des idées occidentales l’asservissement futur des spahis aux raïas. Pour échapper à cet avenir menaçant, les villes de Saraïevo, Belgrad et Nicha réhabilitèrent publiquement l’ordre des janissaires. Au commencement de 1831, conduits par Vouseïne, les Bosniaques allèrent au nombre de plusieurs milliers surprendre le visir dans son grad de Travnik, lui firent déposer l’uniforme franc pour reprendre l’ancien costume des fidèles, le forcèrent à se laver comme un homme souillé, et à réciter publiquement des prières expiatoires ; puis ils l’emmenèrent avec eux pour se servir de l’autorité de son nom dans leur marche hardie vers Stambol, où ils voulaient aller proclamer un nouveau sultan. Mais pendant les fêtes du ramazan, le visir prisonnier parvint à s’échapper, fut reçu dans Stolats, et de là se réfugia en Autriche, d’où il regagna par mer le Bosphore.

L’insurrection s’étendit presque en même temps de la Bosnie dans les Albanies, où quarante mille guerriers slaves et chkipetars se levèrent avec le Bouchatli Moustapha pour appuyer les vingt-cinq mille Bosniaques de Vouseïne dans l’attaque qu’ils avaient résolue contre Constantinople. L’avant-garde de ces rebelles, sous la conduite de Kara-Teisia, envahit la Bulgarie en y semant l’incendie et la mort. Ces nouveaux kerdchalis, ayant pris d’assaut Sophia, la livrèrent à toutes les horreurs du pillage. Stambol était dans la désolation : déjà le sultan songeait à demander le secours des Russes ; mais le grand-visir Rechid sut gagner des traîtres parmi les insurgés, et bientôt contraignit Moustapha à rétrograder vers Skadar. En même