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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/468

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REVUE DES DEUX MONDES.

gine, opposa plus de résistance. À la fin du troisième jour, le pacha Vidaïtj, impatient, va trouver dans sa tente son frère d’armes Vouseïne ; ils boivent le moka et la vapeur du tchibouk ; puis le pacha dit au général en chef : — Ami, laissons cette bicoque, et allons livrer bataille. — Pacha, sabre de l’empire, lui répond Vouseïne, ne risquons pas de perdre notre armée, et assurons-nous un refuge en cas d’échec. — Au même instant arrive une lettre de Rasak, pacha de la citadelle assiégée, qui, loin de crier aman, les menace de faire sur eux feu de son artillerie. Vouseïne, indigné, appelle tous ses faucons : — À l’assaut ! leur crie-t-il ; Allah soutient notre cause dans le divan céleste. — Et tous, sautant à cheval, assaillirent la palanque d’Ipek, ils la franchirent comme un éclair ; arrivés au pied du grad, ils y laissèrent, il est vrai, beaucoup de morts, mais parvinrent à en escalader les remparts, et en emportèrent un énorme butin.

« Poussant alors leurs coursiers par la vallée de Drenitsa, les vainqueurs ne descendirent plus de cheval que dans la plaine de Kossovo, où ils campèrent sous Prichtina et restèrent quelques jours en repos. Puis trois cents gardiens de frontière, braves à qui la mort sourit, partirent avec Memich-Aga pour aller défier le nizam. Ils maraudent dans la campagne, demandant partout où est le nizam impérial. Une bonne fortune le leur fait rencontrer au gros village de Lipliani, où, dirigé par le pacha de Prisren, il élevait un retranchement pour y placer des batteries et défendre Kossovo. Aussitôt Memich-Aga expédie un des siens pour porter cette nouvelle à Vouseïne ; puis, à l’heure du saba (prière de l’aurore), tous crièrent : Malédiction au sultan ! et la lutte s’engagea… Elle dura jusqu’à ce que tout le nizam eût été broyé, et que ses canons, ses caisses d’argent, ses tentes, ses provisions de guerre et de bouche, fussent tombés au pouvoir des Bosniaques. »

Le grand-visir Rechid, qui se tenait alors à Skopia en Macédoine, envoya contre les vainqueurs les pachas Khor-Ibrahim et Hadchi-Achmet avec une nouvelle armée, composée principalement de mercenaires arnautes. Les Arnautes, en passant au parti de Vouseïne, lui valurent un nouveau triomphe. Si les Bosniaques eussent marché en avant, ils se seraient emparés de Skopia et du grand-visir, et auraient peut-être mis fin au règne de Mahmoud ; mais leur général n’était qu’un héros. Étranger aux ruses diplomatiques, il se laissa tromper par l’adroit Rechid, qui s’engagea à rendre à la Bosnie tous ses anciens priviléges, et de plus à lui donner pour visir un indigène, qui serait Vouseïne lui-même. L’armée ne pouvait rejeter de telles propositions ; elle les accepta et rentra en Bosnie, commettant la faute énorme d’abandonner son vieil allié Moustapha, et de le laisser bloqué dans Skadar. Pour couronner ses heureuses machinations, Rechid promit en secret au capitaine de Touzla qu’il le ferait visir à