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selim de Priépolié, Hadchi-Mouï, un des plus ardens champions de Vouseïne et de l’ancien régime musulman, osa encore défendre le pont de la Lim avec deux canons et quelques centaines de spahis ; mais il fut enfin saisi et promené sur un âne, le visage tourné vers la queue de sa monture, à travers la ville dont il avait été le juge. Décidé à mourir, Vouseïne quitta avec ses amis Saraïevo, et alla se retrancher à cinq lieues de cette capitale, sur les versans du Vitez, qui est pour le pays une espèce de mont sacré. Touchés de son héroïsme, les Bosniaques vinrent l’y joindre en foule, et quand le nouveau visir Kara-Mahmoud arriva sur le Vitez, il y trouva rangés vingt mille combattans. Mais beaucoup d’entre eux étaient des raïas que leurs maîtres avaient eu l’imprudence d’armer : la bataille engagée, ces raïas refusèrent de lutter pour des spahis qui les opprimaient, et la discorde fit encore une fois triompher les impériaux. Vouseïne culbuté ne parvint à rallier ses derniers braves que sous les murs de Saraïevo, où, soutenu par Vidaïtj, il fit des prodiges de valeur pour interdire aux Turcs l’entrée de la capitale. Ce jour-là, huit chevaux périrent sous lui. Désespérant de réduire de tels hommes, malgré la supériorité énorme de ses forces, Kara-Mahmoud songeait à la retraite, quand sa bonne fortune fit tout à coup arriver à son secours le terrible aga de Stolats, Ali, à la tête des raïas et ouskoks hertsegoviniens, tous pleins d’ardeur, tous ayant à faire expier aux spahis de longues vexations. Ces guerriers chrétiens prirent les Bosniaques en flanc et achevèrent de les exterminer. N’ayant plus de soldats ; le dragon Vouseïne, avec son pobratim Vidaïtj et deux cents begs, se fit jour à travers l’armée turque, et exécuta une admirable retraite jusqu’à la frontière d’Autriche.

Kara-Mahmoud, entré dans Saraïevo, s’y conduisit noblement ; il fit respecter les personnes et les biens, mais refusa d’aller demeurer à Travnik, et s’érigea un konak et des casernes sur la butte de Goritsa, à un quart de lieue seulement des murs de la ville. Quant aux begs héréditaires des différens châteaux, il sut, par l’ascendant de son caractère et sans recourir à aucune promesse, les amener les uns après les autres à se rendre, et peu à peu il les envoya tous à Constantinople, où le divan les fit garder à vue. De simples aïans et des mousselims, révocables par le visir, remplacèrent les begs de Bosnie. Les citoyens de Saraïevo, qui voyaient avec indignation Kara-Mahmoud demeurer près de leurs murs, contrairement à la constitution bosniaque, assaillirent le mont fortifié du Goritsa pour en expulser le nizam ; mais ils furent battus et repoussés, et cette