Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/472

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
466
REVUE DES DEUX MONDES.

La fixatïon de ces nouvelles frontières ne s’accomplit pas aussi paisiblement qu’on l’espérait. En vain les deux pachas de Belgrad et de Vidin, Hussein et Vedchi, envoyèrent leurs commissaires Tjakhif et Abdoul-Aga pour seconder les commissaires serbes Velkovitj et Iosif Milosavlevitj ; en vain le sénateur George Protitj parcourut tous les confins en litige pour s’assurer que les Turcs ne gardaient rien de ce que le hati-chérif adjugeait à son pays ; malgré toutes ces mesures, quand on voulut faire évacuer aux populations musulmanes les chaumières de leurs aïeux, elles poussèrent des cris de désespoir et se défendirent avec fureur. Sept villages voisins de Krouchevats, dont les forêts et les prairies communales étaient cédées à la Serbie, voulurent en interdire l’approche aux pâtres serbes. Les troupes de Miloch survinrent et battirent les anciens propriétaires. Affectant alors quelque compassion, le kniaze accorda un sursis aux Bosniaques dépossédés, pour qu’ils pussent recueillir et emporter dans l’exil leur dernière moisson de maïs. Mais la moisson faite, quand on voulut les arracher à leurs pénates, les infortunés, ne pouvant se résigner à l’exil, appelèrent à leur secours les golatchanes (enfans nus). Ces soldats vagabonds, licenciés par la Porte, vinrent au nombre de plusieurs milliers, et, après avoir culbuté les avant-postes de Miloch, se portèrent sur Klissoura et se mirent à incendier les villages serbes, dont ils emmenèrent les femmes comme esclaves.

Néanmoins les Bosniaques ne pouvaient accepter qu’à contre-cœur l’appui de ces golatchanes, sans-culottes et communistes de l’Orient, qui nient la propriété et le mariage, parce qu’ils se voient violemment réduits à la misère et au célibat. De pareils prolétaires inspiraient trop d’horreur aux spahis pour que ces nobles ne cherchassent pas d’autres auxiliaires. Ils conjurèrent les pachas voisins de leur envoyer des troupes disciplinées, qui les aidassent dans leur lutte inégale ; mais le pacha de Stolats, l’ambitieux Ali, écouta seul leurs prières. Oubliant qu’il devait son élévation au secours des ouskoks chrétiens, et qu’il avait contribué plus qu’aucun autre à briser la puissance des spahis en 1831, il prit la défense de ces mêmes hommes dont il avait causé la ruine, et déchaîna en leur faveur ses bandes hertsegoviennes, qui ravagèrent avec le fer et le feu le Stari-Vlah. Pendant ce temps, Mitchitj de Rouina, que Miloch avait nommé gouverneur de cette province, plantait des croix tout le long de la nouvelle frontière, et, sur les points où elle traversait des forêts, il abattait les arbres pour établir des corps-de-garde. Il était encore occupé à ce travail quand une pauvre orpheline, échappée au mas-