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tagnes et des défilés. Ces corps francs remplacent peu à peu dans leurs fonctions guerrières les spahis, dépossédés de leur ancienne puissance. La prudence même fait un devoir aux pachas de ménager ces hommes audacieux, qui ne craignent point de se mesurer avec le nizam, et qui ont, depuis 1840, battu à plusieurs reprises le puissant pacha de Mostar. Avec leur secours, les tribus des Vassoïevitj, avant-garde du Monténégro, étendent leurs conquêtes en refoulant de plus en plus les Bosniaques turquisés vers Saraïevo. Ainsi, partout la tribu chrétienne, restée à l’état primitif et naturel, se rajeunit et apparaît comme héritière de la vieille cité musulmane, réduite à une vie factice et en proie à des réformes que renie la conscience populaire.

Effrayés des progrès que fait en Bosnie la démoralisation sociale, les ministres ottomans, pour rendre à ce pays un peu de ferveur musulmane, ont renvoyé dans son sein tous ses anciens chefs du temps de Vouseïne. Beaucoup d’entre eux sont ainsi rentrés, comme mousselims ou comme aïans, dans les grads dont ils étaient autrefois les capitaines héréditaires. Il en est résulté de nouvelles persécutions contre les chrétiens de la part de ces fanatiques défenseurs du vieux régime. En 1842, la position des raïas était devenue affreuse, et l’Autriche, intéressée à noircir encore le sombre tableau de leurs souffrances, insérait dans ses journaux des plaintes déchirantes sur les réactions et les vengeances que les ultra-musulmans se permettaient contre les chrétiens, pour les punir d’avoir ensorcelé le sultan et provoqué le fatal hati-chérif de Gulhané. Au commencement de 1843, ces malheureux, poussés à bout, se sont encore révoltés, et, armés de pioches, de massues, de poignards, ils ont marché, dit-on, au nombre de 8,000, contre le visir de Travnik, qui leur a opposé son nizam et les a dispersés. Tel est l’état actuel de la Bosnie. Le seul fruit que les raïas retirent des réformes européennes, c’est de voir tripler leurs impôts. Quant aux spahis, ils entrent peu à peu dans le nizam, et adoptent la discipline militaire autrichienne, mais sans modifier leurs convictions. Ce sont toujours les mêmes préjugés, et sous leur nouveau costume franc ces hommes se montrent oppresseurs comme au temps où ils portaient les tokas dorées et le lourd manteau national.