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PAYSAGE.


Tu l’enveloppes de mystère,
Tu la tiens dans un demi-jour,
Comme un appas nu de la terre
Que couve ton jaloux amour.

Ah ! c’est là l’image sublime
De tout ce que Dieu fit grandir !
Le génie à l’auguste cime
S’isole ainsi pour resplendir.

Le bruit, le vent, le feu, la glace,
Le frappent éternellement,
Et sur son front gravent la trace
D’un froid et morne isolement.

Mais souvent caché dans la nue,
Il enferme dans ses déserts,
Comme une vallée inconnue,
Un cœur qui lui vaut l’univers.

Ce sommet où la foudre gronde,
Où le jour se couche si tard,
Ne veut resplendir sur le monde
Que pour briller dans un regard.

En le voyant, nul ne se doute
Qu’il ne s’élance au fond des cieux,
Qu’il ne fend l’éther de sa voûte,
Que pour être suivi des yeux !

Et que, du sein de la tempête,
Il ne se penche que pour voir
Les neiges de sa blanche tête
Luire, ô lac ! dans ton bleu miroir.


A. de Lamartine.


Paris, 29 mars 1842.