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REVUE DES DEUX MONDES.

Wieland[1], et c’était justice. Wieland a été en Allemagne un des plus aimables représentans de notre génie. L’Oberon est un charmant poème ; nul peut-être n’a su plus heureusement que Wieland unir et mêler dans une même œuvre ces deux génies depuis si long-temps déclarés incompatibles, le génie du Nord et celui du Midi. C’est chose curieuse à étudier que cette alliance de l’ironie italienne et de la naïveté tudesque. Les personnages mis en scène par Wieland participent tous de cette double nature qui distingue son poème. Rezia unit à la fière beauté d’une fille d’Orient la vive sensibilité d’une jeune Allemande. Dans la figure du chevalier Huon, la grace des paladins de l’Arioste se marie de même à je ne sais quels souvenirs des vieilles épopées du Nord. Enfin, dans le personnage principal, cet Oberon dont l’intervention, en servant les amours de Rezia et de Huon, anime et dénoue le poème, on ne reconnaît guère l’amoureux fantôme qu’évoqua Shakspeare dans le Songe d’été. La suavité de cette aimable création rappelle le caractère complexe du génie de Wieland, porté à recueillir tour à tour dans la Grèce antique, dans l’Italie moderne et dans la France du XVIIIe siècle, des inspirations qu’il doue de la grace naïve et de la bonhomie du Nord. Ainsi dans Oberon, tout en rendant hommage aux muses étrangères, Wieland est resté Allemand. C’est précisément grace à ce culte pour l’Allemagne que les études de Wieland sur l’antiquité classique et les littératures modernes se sont élevées à une véritable originalité. L’imitation ainsi comprise n’a plus rien de servile ni d’énervant ; elle fortifie, elle féconde, elle renouvelle. C’est ainsi que la France pourrait tirer parti de la tendance qui l’entraîne, depuis un siècle, à interroger les littératures du Nord. — La nouvelle traduction d’Oberon, due à M. Jullien, bien qu’elle donne prise à certaines critiques de détails, est encore la plus fidèle et la plus élégante que nous ayons du chef-d’œuvre de Wieland. En ce temps de traductions négligées et hâtives, il faut rendre justice à celles qui témoignent de consciencieux efforts, si elles ne prouvent pas un talent consommé.


V. de Mars.
  1. Un vol. grand in-18 chez Masgana, galerie de l’Odéon.