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fait bien des fois, de convenir réciproquement de la neutralité perpétuelle des Indiens. L’Angleterre refusa, et depuis elle n’a pas cessé, dans la prévision d’une rupture plus ou moins prochaine, de les entretenir dans un état d’hostilité à l’égard des Américains, qui, de leur côté, les ont toujours considérés comme des ennemis qu’il fallait, non pas gagner ou civiliser, mais anéantir.

Si hautement exprimées et si sincères que soient les craintes qu’inspirent les Indiens, elles ne sont cependant qu’un prétexte, elles ne servent qu’à couvrir le mécontentement profond causé aux Américains par l’établissement des Anglais dans une contrée si voisine de l’Union, et qu’ils s’étaient accoutumés à regarder comme leur propriété. En effet, les progrès de l’Angleterre dans l’Amérique du Nord sont de nature à inspirer aux Américains des craintes bien autrement sérieuses que les dévastations des Indiens. Il est évident que le territoire de l’Oregon ne suffit pas à l’ambition de l’Angleterre, qui aspire à devenir maîtresse absolue dans la mer Pacifique. Pour n’avoir pas à redouter la concurrence de la Russie sur les marchés de fourrures de la Chine, la compagnie de la baie d’Hudson vient de prendre à bail pour dix ans, moyennant un loyer de 150,000 francs par année, tous les établissemens russes de l’Amérique du Nord. Il est impossible de ne pas reconnaître dans cette opération, qui veut paraître purement mercantile, la main du gouvernement anglais. Suivant sa tactique accoutumée, l’Angleterre se fait humble aujourd’hui pour gagner par surprise ce que la force et une guerre heureuse ne lui auraient peut-être pas donné. Dans dix ans, si elle n’est pas en état d’imposer sa volonté, elle renouvellera le bail ; les sacrifices ne lui coûteront pas, et un jour, quand sa domination sera fondée sur l’habitude, elle se proclamera maîtresse : les prétextes ne lui manqueront pas assurément.

Tandis qu’au nord elle écarte toute rivalité commerciale et s’apprête à établir son empire, elle tente au sud de s’introduire dans la Californie. Ce pays n’a pas, il est vrai, de riches fourrures, ses produits se réduisent à du suif et à des peaux de bœufs ; mais, outre que la Californie peut devenir un jour un important débouché, elle possède la plus magnifique rade de la mer Pacifique, et, en attendant que la baie de San Francisco devienne dans cet océan ce que sont dans l’Atlantique Québec et Halifax, c’est-à-dire un arsenal militaire et maritime, des négocians anglais établissent, sous le patronage du gouvernement, des comptoirs sur les points les plus importans du littoral, car c’est toujours à l’abri du commerce que se