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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

la taille pleine de grace. Le teint seul pourrait prêter aux objections ; comme celui des filles du Soleil, il tire sur le jaune et n’a qu’un éclat mat et sans couleur. Cependant cette complexion a un charme auquel on se dérobe difficilement ; la volupté y est empreinte et le désir y respire. Ces femmes semblent faites pour le plaisir ; toute occupation leur répugne, tout art d’agrément les trouve indifférentes. Il en est peu de musiciennes, peu qui s’occupent de travaux d’art et d’aiguille. Jeunes ou vieilles, toutes n’ont que le cigare pour passe-temps ; seulement, à mesure qu’elles avancent en âge, il augmente en dimension, et les matrones fument des cigares gros comme des bougies. Il est vrai qu’elles ne les achèvent pas en un jour et reviennent plusieurs fois à la charge.

La mise des femmes de Lima est très recherchée. Dans la société élevée, les modes françaises dominent, quoique tempérées par le goût espagnol. Ainsi les élégantes sont toujours coiffées en cheveux avec des fleurs naturelles ; elles ne portent que des bas de soie et des souliers de satin, dont elles font une consommation ruineuse. Sous ce costume, elles ne sortent qu’en voiture ; quand elles veulent aller à pied, soit pour se rendre à l’église, soit pour faire les visites du matin et courir les marchands, elles y ajoutent un vêtement très caractéristique et qui a acquis une certaine célébrité. Il se nomme la saya ou saya y manto, et se compose de deux pièces principales. L’une, qui est la jupe, prend la taille à la ceinture et descend jusqu’à la cheville. Cette pièce est en soie plissée et froncée du haut en bas de telle sorte que, tout en dessinant exactement les formes, elle conserve cependant quelque élasticité. Le bas de la jupe se rapproche des jambes et les comprime au point qu’en marchant il faut faire un effort et profiter du jeu que les plis donnent au vêtement. L’autre pièce de ce costume est la mante, toujours en soie noire : elle part également de la taille, revient par derrière au-dessus de la tête, qu’elle enveloppe, ainsi que la partie supérieure du bras, et partage la figure de manière à ne laisser voir qu’un œil. Dans cet étrange accoutrement les femmes ne peuvent pas être reconnues ; c’est pour elles une sorte de masque auquel elles tiennent à cause des franchises qu’il comporte. À les voir ainsi empaquetées, on dirait de ces figurines que l’on trouve dans les tombeaux de l’ancienne Égypte, et c’est évidemment là une tradition que les Espagnols ont empruntée aux Maures. Du reste, il est impossible de n’être pas frappé, en débarquant à Lima, de la singularité et aussi de l’indécence de ce costume. Le jeu des formes s’y laisse voir tout entier : comprimées dans cette espèce