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maux qui viennent de naître, les tue et les dévore, si la mère ne veille pas sur eux. Lorsque la curée est belle et la besogne difficile, ils se mettent plusieurs pour l’achever. Ainsi on raconte que, sur les Andes, un veau de cinq à six mois fut attaqué par trois condors. Ils fondirent sur lui d’une manière furieuse : deux le prirent de front, tandis que l’autre l’inquiétait par derrière. À coups de bec, les premiers lui crevèrent les yeux, et l’animal tomba ; ils l’achevèrent à coups d’ailes, et le firent disparaître avant qu’on eût pu venir au secours du pauvre animal.

On conçoit quel intérêt ont les éleveurs de bestiaux à diminuer le nombre de ces oiseaux féroces ; mais comment s’y prendre ? Les condors nichent sur des rochers escarpés où il est impossible d’aller détruire leurs œufs, et ils ne se laissent jamais approcher à portée de fusil. Il ne reste donc plus qu’à organiser contre eux des battues. Voici quels moyens on emploie. Sur un lieu élevé et préparé à l’avance, on dépose le corps d’un cheval écorché. Autour de ce cadavre est construite une enceinte circulaire de six mètres de rayon, bordée de pieux que l’on enfonce en terre très près les uns des autres, en ménageant une porte d’un mètre de largeur sur autant de hauteur. Quand la proie commence à entrer en putréfaction on peut apercevoir des bandes de condors planer autour de l’enceinte. C’est le moment pour les chasseurs de se rapprocher du lieu de l’action. Une cabane recouverte de ramée a été préparée ; ils s’y tapissent en se dérobant aux regards. De là on peut, pendant des heures entières, voir ces hideux oiseaux, dont le nombre augmente à chaque instant, décrire dans le ciel des cercles infinis, attirés vers le cadavre par l’odeur qui s’en exhale, et s’en éloignant à cause de l’appareil suspect qui l’entoure, partagés entre le désir de faire un bon repas et la crainte que ce plaisir ne leur soit fatal. Ils descendent ainsi presque jusqu’à terre et se relèvent au plus haut des airs, toujours excités et toujours contenus. Enfin peu à peu l’odeur les enivre, et dès qu’un des leurs, moins expérimenté ou plus affamé que les autres, s’est abattu sur la proie, les autres le suivent à l’instant même. On ferme alors la porte de l’enceinte au moyen d’une corde qui a été disposée à cet effet, et tout le bataillon se trouve ainsi prisonnier. Il n’est pas rare de voir jusqu’à trente condors traqués et rassemblés dans un pareil piége.

Une fois qu’ils ont commencé leur festin, on peut s’approcher sans crainte ; l’oiseau est tout entier à sa besogne, il ne s’effarouche pas ; il se contente de fixer sur les curieux son œil noir et perçant et