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de la destination de ces informes monumens. Tout le rivage de cette île offre des débris semblables. Le plus remarquable est une sorte de temple que l’on découvre sur la côte occidentale, avant d’arriver à la baie de Cook. Il consiste en une plate-forme en pierre, sur laquelle reposent quatre statues rouges symétriquement placées, dont les sommets portent encore des blocs d’une blancheur éclatante. Sont-ce là des temples ou des cippes ? Il est difficile de s’en assurer.

Pendant que la frégate exécutait ces évolutions autour de l’île ; cinq pirogues se détachèrent du rivage ; dix insulaires les montaient, et dans chacune d’elles se trouvait une femme. Tout ce monde s’élança fort hardiment sur le pont, et comme des personnes habituées à de pareilles aventures. Gais et familiers, les visiteurs se mirent sur-le-champ à danser, à exécuter une foule de gambades. Les hommes demandèrent à être rasés, et on leur rendit ce service : ils n’avaient pour tout vêtement que le maro, témoignage de pudeur que l’on trouve chez les peuples les plus sauvages. On fit cadeau à l’un d’eux d’une casquette et d’un col ; il s’en para sur-le-champ et se promena fièrement sur le pont, en s’admirant comme s’il eût été richement habillé. Du reste, ils ne voulurent ni boire ni manger, et parurent faire peu de cas des couteaux et des ciseaux ; ils préféraient les miroirs et les mouchoirs de couleur. Au bout de quelques minutes de séjour à bord, les instincts de vol se réveillèrent parmi eux, et l’un d’eux déroba avec une adresse toute particulière une cravate rouge qui appartenait à un matelot. Lorsqu’on la lui fit rendre, il ne témoigna ni humeur ni surprise d’être découvert, et recommença un instant après son entreprise, espérant être plus heureux.

Les femmes qui montèrent à bord de la frégate étaient toutes très jeunes. Plus petites que les hommes et un peu plus blanches, elles avaient une physionomie agréable, des yeux vifs, de belles dents, et de longs cheveux assez malpropres qui flottaient sur leurs épaules. Elles étaient d’ailleurs, comme les hommes, dans le costume le plus simple : leur toilette consistait en une ceinture en cheveux, roulée comme une corde, et servant à fixer un bouquet d’herbes qui couvrait à peine leurs charmes les plus secrets. Les hommes étaient tatoués à la façon polynésienne ; les femmes l’étaient également autour de la bouche, sur le front, près de la racine des cheveux ; sur le devant des cuisses, ce tatouage avait toute l’apparence d’un tablier bleu. Ces beautés sauvages avaient évidemment été amenées à bord pour un trafic galant, et tout prouve qu’elles ont contracté l’habitude de ce commerce, exercé au large, avec les équipages des baleiniers