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LE ROMAN DANS LE MONDE.

Trois jours après, on emportait d’ici Marthe, couchée dans son cercueil, et je restai seule près de mes parens.

Quand j’appris à ma mère aveugle la mort de ma sœur, elle jeta un grand cri, fit quelques pas au hasard dans la chambre, puis tomba à genoux. — Je m’approchai d’elle, la relevai et la ramenai à son fauteuil. — Depuis lors elle n’a plus ni crié ni pleuré ; seulement elle est plus silencieuse encore qu’elle n’était, et je vois plus souvent que de coutume les grains de son chapelet rouler entre ses doigts.

Je n’ai presque plus rien à vous raconter. — Mon père tomba tout-à-fait en enfance ; nous perdîmes un peu de la petite fortune qui faisait notre bien-être. — Je voulus que mes parens ne s’en aperçussent pas ; les tromper était bien facile : l’un ne comprend rien, l’autre n’y voit pas. Je me mis à travailler et à vendre en secret mes broderies. — Je ne cause plus avec personne depuis que ma sœur est morte. — J’aime la lecture, et je ne puis lire : il faut que je travaille. — Je ne prends l’air que le dimanche ; je ne vais pas bien loin, car je suis seule.

Il y a quelques années, lorsque j’étais plus jeune, j’ai beaucoup rêvé, là, à cette fenêtre, en regardant le ciel. Je peuplais ma solitude de mille chimères, qui abrégeaient la longueur du jour. — Maintenant une espèce d’engourdissement alourdit mes pensées : je ne rêve plus.

Tant que j’ai été jeune et un peu jolie, j’ai espéré, au hasard, je ne sais quel changement dans ma destinée. — Maintenant j’ai vingt-neuf ans ; la tristesse a, plus encore que les années, flétri mon visage. — Tout est dit !… je n’attends plus, n’espère plus ; j’achèverai ici mes jours isolés.

Ne croyez pas que j’aie tout de suite accepté cette amère destinée avec résignation. Non, il y avait des jours où mon cœur se révoltait de vieillir sans aimer. — N’être pas aimé, cela encore est possible ; mais ne pas aimer, cela tue ! — Vous l’avouerai-je ? j’ai murmuré contre la Providence ; j’ai eu contre elle de coupables pensées de révolte et de reproches.

Mais ce tumulte intérieur a passé aussi comme mes espérances.

— Je songe aux douces paroles de Marthe : « Au revoir, ma sœur ! » et il ne reste plus en moi qu’une passive résignation, qu’une humble abnégation de moi-même. Je prie souvent, et ne pleure plus que rarement. Et vous, vous êtes heureuse ?

Je ne répondis pas à la question d’Ursule ; parler du bonheur de-