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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/614

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REVUE DES DEUX MONDES.

salon du rez-de-chaussée, sans autre clarté que les rayons de la lune, qui descendaient jusque sur la fenêtre ouverte. Ils se parlaient un peu, se regardaient beaucoup et rêvaient ensemble.

Ursule aimait avec candeur, avec simplicité. Elle disait à Maurice : — Je suis heureuse ; je vous aime, je vous remercie.

Leur bonheur ne chercha ni le soleil, ni le grand air, ni l’espace. La petite maison grise en fut le seul témoin. Ursule travaillait toujours et restait près de ses parens. Mais si sa personne occupait, immobile, la même place qu’auparavant, son ame s’était envolée, libre, ressuscitée, radieuse ; — les murs de cette étroite demeure ne la contenaient plus : elle avait pris son essor. Ainsi la douce magie de l’espérance non-seulement embellit l’avenir, mais encore s’empare du présent, et, par son prisme tout-puissant, métamorphose l’aspect de toutes choses ! — Cette pauvre maison était toujours morne et sombre comme depuis vingt ans… Mais une seule pensée, glissée au fond du cœur d’une femme, en a fait un palais ! — Ô rêves d’espérance ! Dussiez-vous fuir toujours, comme les nuages dorés s’enfuient dans le ciel, passez, passez dans notre vie !… Celui qui ne vous a pas connus est mille fois plus pauvre que celui qui vous regrette…

Ainsi s’écoula pour Ursule un temps bien heureux.

Mais un jour arriva où Maurice, en entrant dans le petit salon, dit à sa fiancée :

— Mon amie, hâtons notre mariage ; le régiment va changer de garnison : il faut nous marier pour que vous partiez avec moi.

— Allons-nous loin, Maurice ?

— Êtes-vous donc effrayée, ma chère Ursule, de voir un nouveau pays, un autre coin du monde ? Il y en a de plus beaux que celui-ci !

— Ce n’est pas pour moi, Maurice, mais pour mes parens ; ils sont bien vieux pour faire un long voyage !

Maurice resta immobile devant Ursule. — Quoique le voile épais que le bonheur met sur les yeux eût empêché Maurice de réfléchir, pourtant il savait bien qu’Ursule, pour partager sa destinée errante, devait se séparer de ses parens. — Il avait prévu sa douleur ; mais, confiant dans l’amour qu’il inspirait, il avait cru que cet amour dévoué aurait la puissance d’adoucir toutes larmes dont il ne serait pas la source. — Il fallait enfin éclairer Ursule sur son avenir. — Et, triste de l’inévitable chagrin qu’il allait donner à sa fiancée, Maurice la prit par la main, la fit asseoir à sa place accoutumée, et lui dit doucement :