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la quitta, après lui avoir prodigué mille noms affectueux. — Elle l’avait laissé parler sans lui répondre.

Ursule, restée seule, appuya sa tête sur sa main et demeura immobile des heures entières. — Hélas ! le tardif bonheur qui était venu briller un instant sur sa vie s’enfuyait ! — Les doux rêves, ces amis de toutes les ames jeunes, absens pour elle depuis si long-temps, n’étaient revenus que pour partir encore ! L’oubli, le silence, l’obscurité reprenaient possession de cette existence que le bonheur leur avait un instant disputée ! — La nuit s’écoula ainsi. Que se passa-t-il dans l’ame de la pauvre fille ? Dieu l’a vu. — Elle, elle n’en a rien dit sur la terre.

Aux premières lueurs du jour, elle tressaillit, ferma la fenêtre, restée ouverte depuis la veille au soir, et, pâle, tremblante de froid et d’émotion, elle prit du papier, une plume, et écrivit :


« Adieu, Maurice ! — Je reste auprès de mon père et de ma mère. — Ils ont besoin de mes soins et de mon travail. — Les abandonner dans leur vieillesse, ce serait les faire mourir. — Ils n’ont plus que moi dans le monde ! — Ma sœur, à son heure dernière, me les a confiés et m’a dit : « Au revoir, Ursule ! » — Je ne la reverrais pas, si je ne remplissais pas mes devoirs. Je vous ai bien aimé ! je vous aimerai toujours ! — Ma vie ne sera plus qu’un souvenir de vous. — Vous avez été bon, généreux ; mais, hélas ! nous sommes trop pauvres pour nous marier. — Je l’ai compris hier… — Adieu !… — Il faut bien du courage pour écrire ce mot-là !… — J’espère que votre vie sera douce. — Une autre femme, plus heureuse que moi, vous aimera… Cela est si facile de vous aimer ! — Pourtant, n’oubliez jamais tout-à-fait la pauvre Ursule. — Adieu, mon ami ! — Ah ! je savais bien, moi, que je ne pouvais pas être heureuse !

« Ursule. »


J’abrége ce récit. — Ursule revit Maurice, me revit. — Mais toutes nos prières, nos supplications furent inutiles ; elle ne voulut jamais quitter ses parens. — Il faut que je travaille pour eux ! Disait-elle. — En vain, ayant de l’égoïsme à sa place, je lui parlai de l’amour de Maurice, de son bonheur à elle. En vain, avec une sorte de cruauté, je lui rappelai son âge, l’impossibilité de retrouver une chance quelconque de changer sa destinée… Elle pleurait en m’écoutant, mouillant de ses larmes l’ouvrage qu’elle ne voulait pas interrompre. —