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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/644

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et glapit là où une foule de peuple se pressait il y a une heure. D’autres chakals suivent le cours du fleuve et attendent patiemment que le flot jette sur les vases du rivage quelques-uns des cadavres auxquels le Gange sert de sépulture. L’usage est de brûler les corps, mais les pauvres qui ne peuvent suffire à la dépense du bûcher funéraire abandonnent aux eaux sacrées du fleuve le mort, auquel ils attachent, comme symbole de la cérémonie prescrite un bouchon de paille. Dès qu’un malade est à l’extrémité, ses parens, ses amis, le portent sur leurs épaules, roulé dans un linceul, aux bords du Gange, et, après lui avoir frotté la bouche avec cette eau qui enlève les souillures de l’ame, ils le veillent pour le défendre contre les attaques des chakals jusqu’à ce qu’il ait rendu le dernier soupir ; alors ils lancent vers la mer celui qui vient de partir pour l’éternité : mais le cadavre, avant d’arriver au golfe, est dévoré par les quadrupèdes affamés ou par les crocodiles énormes qui rôdent à l’entrée des ruisseaux dans les Sunderbands. Toute grande cité a son côté lugubre.

Notre intention n’est pas de décrire, à propos de Calcutta, les dix-huit grandes fêtes du calendrier hindou ; nous nous bornerons à celles qui empruntent à la nature des lieux et à la richesse de cette capitale une solennité particulière. Les cultes divers, tous également tolérés, célébrant alternativement leurs cérémonies, il en résulte qu’une partie des habitans est presque toujours en chômage. Tantôt, durant toute une semaine. on entend retentir chaque nuit les chants des juifs, qui illuminent leurs terrasses recouvertes de branches d’arbres en forme de tonnelles ; tantôt, pendant quinze soirs de suite, on voit briller au-dessus de la demeure des musulmans la lumière suspendue dans une lanterne à l’extrémité d’un long bambou. Pour les Hindous, les deux principales fêtes sont celles qui se célèbrent en l’honneur de la déesse Parvati, femme de Siva, sous ses deux manifestations de Kali la noire et de Dourgâ la terrible, tant il est vrai que le paganisme est surtout pieux envers les dieux qu’il redoute. La première tombe en avril. Une foule considérable arrive des villes voisines pour assister à l’édifiant spectacle des cruautés révoltantes que les dévots exercent sur leurs propres corps. Bien que le gouvernement anglais ait forcé les indigènes à reculer hors de la ville le théâtre de ces barbares cérémonies, combien d’Européens, attirés par le bruit des instrumens, les flots mêlés d’un peuple en habits de fête et le désir honteux de voir souffrir, s’empressent autour de ces bascules où un pénitent enivré d’arack et d’opium se suspend par les côtes à un croc de fer pour jeter à l’as-