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d’Amérique avaient donné de sa prudence et de sa finesse d’observation une assez haute idée, pour qu’au retour M. de Vergennes songeât à le demander au maréchal son père, et à le lancer activement dans la carrière des négociations. Le poste qu’on lui destinait au début était des plus importans : il s’agissait de représenter la France auprès de l’impératrice Catherine. Les études sérieuses et positives auxquelles dut se livrer à l’instant le jeune colonel devenu diplomate, témoignaient des ressources de son esprit et marquèrent pour lui l’entrée des années laborieuses. Ces années furent bien brillantes encore durant tout le cours de cette ambassade, où il sut se concilier la faveur de l’illustre souveraine et servir efficacement les intérêts de la France. Profitant de l’aigreur naissante qu’excitait contre les Anglais la politique toute prussienne et électorale de leur roi, usant avec adresse de l’accès qu’il s’était ouvert dans l’esprit du prince Potemkin, il parvint à signer, vers les premiers jours de l’année 1787, avec les ministres russes, un traité de commerce qui assurait à la France tous les avantages dont jusqu’alors les Anglais avaient exclusivement joui. Ce succès fut, en quelque sorte, personnel à M. de Ségur, qui, dans ses Mémoires et dans ses divers écrits, a pu s’en montrer fier à bon droit. Effacé à son arrivée par les ministres d’Angleterre et d’Allemagne, il n’avait dû qu’à lui-même, à cet heureux accord de décision et de bonne grace qui ne se rencontre qu’aux meilleurs momens de se conquérir de plain-pied une considération dont l’effet s’étendit par degrés jusque sur ses démarches politiques. Si quelque intérêt s’attache aujourd’hui pour nous à cette négociation, il tient tout entier, on le conçoit, à la façon dont le négociateur nous la raconte, et au jeu subtil des mobiles qu’il nous fait toucher. La bizarrerie capricieuse du prince Potemkin ne fut pas le moindre ressort au début de cette petite comédie. Il était grand questionneur, se piquant fort d’érudition, surtout en matière ecclésiastique. Ce faible une fois découvert, M. de Ségur n’avait qu’à le mettre sur son sujet favori, qui était l’origine et les causes du schisme grec, et, l’entendant patiemment discourir durant des heures entières sur les conciles œcuméniques, il faisait chaque jour de nouveaux progrès dans sa confiance. Les autres personnages de la cour ne sont pas moins agréablement dessinés. En s’étendant un peu longuement sur ce séjour en Russie, écrivions-nous il y a plus de quinze ans déjà, lors de l’apparition des Mémoires, l’auteur, ou mieux le spirituel causeur a cédé sans doute à plus d’un attrait : là où lui-même a rencontré tant de plaisirs et de