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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/681

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DES FEMMES PHILOSOPHES.

sans le savoir, à certains préjugés, tout son travail serait inutile, et même pourrait égarer ceux qu’il devait instruire. Nous ne pouvons nous cacher que nous vivons au milieu de mille chances d’erreur d’autant plus redoutables qu’elles se confondent souvent avec les sources de toute lumière. L’homme n’est rien sans l’éducation, mais son éducation a pu être défectueuse ; la science ne lui arrive que formulée en systèmes, et ces systèmes sont incomplets et erronés ; les passions sont aussi nécessaires à l’homme que l’air qu’il respire ; elles l’animent, l’exaltent et le fortifient, mais aussi elles l’asservissent et l’aveuglent. Ainsi le penseur est obligé de se défier perpétuellement de ses inévitables points d’appui : il faut qu’il jette un œil sévère et soupçonneux sur l’éducation qu’il a reçue, pour être en mesure à la fois de s’en servir et de s’en défendre : les systèmes qu’il a traversés doivent être dominés par lui de telle façon qu’ils ne puissent offusquer sa vue ; enfin, au milieu des passions qui le remplissent, il doit rester maître et les épurer sans les éteindre. Qu’est-ce à dire, si ce n’est que, dans l’inspection sérieuse de la nature humaine, l’homme doit, à chaque pas, revenir sur ses observations, armé d’une critique vigilante, éprouver ce qu’il a pensé, juger ses jugemens, et remettre en délibération les décrets de son intelligence ? Et encore, dans cette prudence, il est des écueils : il peut arriver qu’une application trop constante à un même objet blesse et obscurcisse la vue de l’esprit. « Telle est la raison humaine, a dit Pope quelque part, qu’elle s’égare également pour penser trop et pour penser trop peu. » C’est effectivement la vertu du génie de sentir le moment où son œuvre se trouve consommée, et c’est ce tact parfait qui constitue les artistes et les penseurs.

Il est une autre manière de philosopher, c’est de chercher la vérité non plus seulement dans la connaissance intérieure de l’homme, mais dans la contemplation du monde moral, dont nous sommes à notre tour les acteurs. L’histoire a pour matière et pour base les idées et les passions humaines : les principes fondamentaux de notre nature y sont en jeu, quand même l’historien, comme dans l’antiquité, ne s’attache qu’aux faits les plus sensibles, aux faits extérieurs. L’esprit des modernes a été plus loin : il ne s’est plus contenté du spectacle des évènemens et des actes ; il a cherché les causes et non-seulement les plus immédiates et les plus aisées à reconnaître, mais les plus difficiles à voir et les plus mystérieuses. C’est alors qu’on a commencé d’écrire l’histoire des religions et l’histoire de la philosophie : on a compris que ces tableaux étaient