toriques, de les analyser, ou d’en faire faire des extraits sous ses yeux. Le style des biographies et des notices dont se compose l’Essai, a de la correction, de l’élégance, parfois une précision qui tend à s’élever à la gravité de l’histoire. C’est surtout dans le récit des évènemens et des faits politiques que l’auteur a une marche plus ferme : toutefois, là encore nous pourrions signaler d’étranges erreurs. Voici comment, en traitant de l’église et des Germains, Mme de Belgiojoso s’avise de juger le droit romain et les lois barbares : « Le droit romain est un beau monument de l’intelligence humaine livrée à ses propres moyens, arrangeant dans un ordre admirable des principes quelquefois faux et souvent vulgaires ; les lois barbares sont l’expression de la volonté royale plutôt que le développement d’un système. » Nous ne retrouvons pas là la justesse d’esprit dont plus haut nous avons félicité les femmes sur les choses même qu’elles savent le moins. Comment le droit romain serait-il un beau monument de l’intelligence humaine, si ses principes sont souvent vulgaires ? Le droit romain vulgaire ! On lui a adressé beaucoup de reproches ; on a pu en critiquer les sévérités dans la pratique et les subtilités dans la théorie ; jamais on n’avait imaginé d’attacher la qualification de vulgaire au droit romain : demandez à Vico, à Leibnitz, à Cujas, à M. de Savigny. Mais sans avoir recours à ces grandes autorités, qui pourraient effrayer l’auteur de l’Essai, nous le renverrons à un livre fort connu : Mme de Belgiojoso n’avait qu’à ouvrir Gibbon, elle aurait trouvé sur le droit romain et sur les lois barbares un jugement qui l’aurait avertie de la témérité du sien. « Par un concours de circonstances extraordinaires, a écrit l’historien de la décadence et de la chute de l’empire romain, les Germains formèrent leurs institutions dans un temps où le système compliqué de la jurisprudence romaine était arrivé à sa dernière perfection. On peut, dans les lois barbares et les Pandectes de Justinien, comparer ensemble les premiers élémens de la vie sociale et la pleine maturité de la sagesse civile. » Gibbon ne disait pas, comme l’auteur de l’Essai, que les lois barbares n’étaient que l’expression de la volonté royale : il y reconnaissait l’empreinte des mœurs naïves des sociétés naissantes, mœurs qu’il comparait, avec une judicieuse impartialité, aux raffinemens de la jurisprudence la plus savante. Il n’hésite même pas à penser que dans cette comparaison la réflexion accordera toujours aux Romains les avantages non-seulement de la science et de la raison, mais aussi de la justice et de l’humanité. Nous ne songeons nullement ici à approfondir cette thèse : nous avons voulu seulement
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