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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

s’entoure de lumière, plus elle devrait servir de phare aux imprudens qui tenteraient de s’en approcher. Schiller a fait ses ballades, Scott ses poésies, et que sont devenus, en vérité, les imitateurs de Marmion et de Fridolin ? Le style tantôt déclamatoire, tantôt psychologique de Schiller, est aussi contraire à la nature même de la ballade que le vain cliquetis de mots dont se sert si habilement Scott convient peu au récit sérieux d’évènemens historiques, et pourtant ces lieds et ces lays ont un charme, une puissance que peu de monde contestera. Du reste, nous n’entendons point ici aborder la question épineuse du beau excentrique (il y aurait, de nos jours surtout, trop à dire là-dessus) ; mais laissons à ceux qui en ont possédé le secret le soin de défendre ces créations de fantaisie, ces variétés littéraires un peu parasites de leur nature, et qui rappellent de loin le fameux guy druidique sur les rameaux luxurians du grand chêne de l’art.

Le style oriental-occidental de Lalla Rookh se retrouve dans les Amours des Anges, dont un verset du sixième chapitre de la Genèse inspira l’idée à Moore, en même temps qu’il suggérait à Byron le motif d’un poème. Le mystère de lord Byron (Heaven and Earth, a mystery) parut le premier, et, quoi qu’en disent Jeffrey, Wilson, Heber, Milman, et tous les critiques de l’époque, on ne saurait, à mon sens, voir dans cette fantaisie antédiluvienne autre chose qu’une tentative avortée, une excursion oiseuse dans le chaos de Milton et de Klopstock. Peu de temps après, Moore publia les Amours des Anges (dont parurent presque aussitôt deux traductions françaises), et ne puisa pas dans son sujet des inspirations plus heureuses que n’y avait trouvées son formidable rival, comme il appelle dans sa préface le chantre de Manfred. Je ne sais si c’est un tort, mais il m’a toujours été impossible de lire l’exposition de ce poème sans sourire. À la vue de ces trois anges, — brossés, peignés et parfumés ainsi qu’il convient à des séraphins comme il faut, — qui se rencontrent un beau soir sur le versant d’une colline, et se racontent mutuellement l’histoire de leur chute « parlant bien un peu du ciel, mais plus encore des beaux yeux qui les ont perdus, » on pense malgré soi à des choses fort terrestres ; on se rappelle mainte joyeuse causerie, mainte réunion intime, féconde en confidences et en indiscrétions aimables, où à travers les vapeurs du nectar et de l’ambroisie ces trois fils du ciel eussent fait bonne figure. Du temps où nous vivons, on est fort peu disposé à prendre au sérieux les anges. Goethe le savait bien lorsqu’il écrivit le Faust, et les cyniques railleries de Méphisto ont singulièrement nui à la gravité des personnages séraphiques. Moore, d’après ce qu’il