enfans du consul. L’auteur, en prenant ce parti, n’a probablement eu d’autre dessein que de ménager une grande et noble scène conjugale entre Brutus et Tullie ; mais les reproches si amèrement dédaigneux que Brutus laisse tomber sur Tullie n’auraient rien perdu, ce me semble, de leur poignante ironie, si, au lieu de les adresser à sa femme, Brutus les eut adressés à une personne dont l’honneur lui eût été également sacré, à sa sœur, par exemple. Enfin, les traits principaux de la physionomie de Brutus ont-ils été bien fidèlement reproduits par M. Ponsard ? Le contraste de la folie simulée et de la raison a-t-il été bien rendu ? Brutus n’est-il pas, durant toute la pièce, trop parfaitement et surtout trop clairement raisonnable ? Pour ne pas apercevoir une aussi évidente sagesse, ne faudrait-il pas que Sextus fût lui-même insensé ? Ces clairs et imprudens apologues que Brutus décoche à tout propos, et qui lui donnent l’air d’Ésope à la cour, ne sont-ils pas, pour ses projets politiques, un masque d’une bien dangereuse transparence ? Enfin, dans la grande scène du dénouement, quand Brutus, saisissant le poignard, jure sur le corps de Lucrèce l’expulsion des Tarquins et révèle tout à coup Junius, sa transformation est-elle assez visible, sa métamorphose assez complète ? Le passage subit de l’imbécillité à la raison sublime, ce prodige qui souleva le peuple de Rome, et qui lie si étroitement le nom de Brutus à celui de Lucrèce, cette résurrection soudaine d’un esprit supérieur est-elle accusée par le poète avec assez d’éclat et de vigueur ? Nous ne le pensons pas.
Aux yeux de plusieurs critiques, le principal mérite de M. Ponsard est d’avoir eu la volonté et le talent de peindre l’ancienne Rome avec des couleurs vraiment romaines, et d’être parvenu à évoquer le génie intime et familier du vieux Latium. Je ne puis m’associer à cet éloge que dans une mesure fort restreinte. Oui, la tragédie de Lucrèce offre dans la simplicité du plan, dans la sévérité du style, dans la sobriété des ressorts, un caractère assez frappant d’antiquité. On sent que M. Ponsard a vécu dans une certaine intimité de la poésie ancienne, qu’il a foulé depuis l’enfance une terre à demi romaine, où le génie du peuple-roi est demeuré vivant et debout dans d’impérissables ruines ; on sent que l’auteur s’est studieusement exercé à prendre l’accent attique et latin. Nous trouvons la preuve de ces efforts honorables dans un assez grand nombre de pièces de vers un peu faibles, élégies, églogues, etc., imitées des anciens et insérées dans la Revue de Vienne. Nous avons surtout remarqué une pièce assez heureuse adressée à M. Delorme, le biblio-