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DE LA SITUATION DU THÉÂTRE EN FRANCE.

Et je n’en connais point dans ce genre de gloire
Qui vous puisse, Tullie, enlever la victoire.

TULLIE.

Mais vous parliez jadis de tout autre façon.
Si je m’en souviens bien, vous traitiez d’ames viles
Celles qui s’occupaient à des travaux serviles ;
Vous vouliez qu’une femme à vos regards charmés
Parût plus belle encor par des bains parfumés,
Par des tresses de fleurs nouant sa chevelure,
Par les attraits choisis d’une riche parure,
Et, laissant la quenouille à des doigts plébéiens,
Vécût pour les concerts et les gais entretiens.
Vous-même à vos discours ajoutant votre exemple,
La ceinture plus lâche et la robe plus ample,
Les cheveux oints, le front de myrte couronné,
Vous vous faisiez honneur du nom d’efféminé.
Vous goûtiez moins alors les mœurs de l’ancien âge…

Certes, voila des vers d’une facture heureuse et savante, des vers tout parfumés de l’élégie à demi grecque du siècle d’Auguste ; mais les mœurs que ces vers dépeignent et supposent sont les mœurs de Rome subjuguée par les délices de l’Asie. Il n’y a pas là un trait, pas un mot applicable au rude et grossier oppidum de l’an 245. Le caractère entier de Sextus, ce jeune voluptueux, j’ai presque dit ce petit maître romain, est taillé sur le patron des Gallus, des Jules César, des Marc-Antoine. Ce caractère est un anachronisme d’autant moins pardonnable, qu’il nous prépare moins à la brutalité sauvage de la catastrophe. Nous devons encore ajouter que M. Ponsard a évidemment emprunté l’idée de son Sextus à l’élégant Sabinus de M. Alexandre Dumas ; mais, dans Caligula, Sabinus est de son siècle, tandis que le sybarite Sextus est une impossibilité dans le sien. — Ce n’est donc pas, comme vous voyez, la vérité de la couleur historique qui a pu concilier à Lucrèce les suffrages des juges éclairés.

Enfin, nous arrivons à une partie de l’ouvrage qu’on a louée presque unanimement, au style. Plusieurs critiques, faisant bon marché de la contexture du drame, de la peinture des caractères, de la vérité historique, ont concentré toute leur admiration sur la langue et la poésie. Il est vrai qu’il y a dans Lucrèce de belles et frappantes qualités de style. Du premier coup, M. Ponsard a pris un rang distingué parmi nos écrivains en vers. Sa langue a de la netteté, de la précision, de la fermeté ; son vers est plein et flexible. On a dit