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Que l’école nouvelle ne se fasse donc point d’illusions : ce qui se passe chaque soir au parterre de l’Odéon est un commencement d’émeute, un essai de rébellion. Cette demi-hostilité de la foule doit donner à réfléchir à qui de droit. Plus le motif, ou plutôt le prétexte de l’émotion est faible et peu grave en soi, plus le pronostic est alarmant. Quelqu’un a eu tort, en 1812, de ne pas tenir plus de compte des facilités que rencontra l’échauffourée de Mallet. Il n’y a pas dans l’art de légers indices : l’œil du poète doit être aussi clairvoyant que celui des augures à qui suffisait le vol d’un oiseau.

Il résultera encore du succès de M. Ponsard une leçon et un exemple qui seront utiles, nous l’espérons, à cette foule de jeunes et présomptueux écrivains qui, pressés d’escompter les premiers germes de talent qu’ils sentent en eux ou qu’ils y supposent, s’abattent par volées sur Paris, cet immense atelier de romans, de feuilletons, de traductions, de drames, espérant prendre, en se jouant, leur part de la curée à laquelle l’industrialisme convie la littérature. Peut-être cette jeunesse spirituelle et fourvoyée, en voyant un ouvrage sérieux, conçu loin du tourbillon parisien et exécuté dans le silence d’une ville de province, s’élancer de prime saut à une vogue populaire, et dominer, d’une incommensurable hauteur, leurs frivoles improvisations, leurs ébauches hâtives, leurs volumes faits aux ciseaux, peut-être, dis-je, en comparant les résultats de ces deux procédés comprendront-ils qu’ils n’ont pas fait le meilleur choix, et qu’il y a folie à demander à l’art de grands succès sans préparation et à l’esprit de vrais chefs-d’œuvre sans travail. Pour moi, ce qui me fait bien augurer de l’avenir poétique de M. Ponsard, ce sont précisément les études longues et diverses qu’il s’est courageusement imposées. Outre des pièces assez nombreuses dans le mode de l’élégie ancienne, nous trouvons en feuilletant le Viennois et la Revue de Vienne des essais dans les genres les plus opposés : Pierre et Marie, nouvelle ; la Rose blanche, autre nouvelle ; une Clef d’or n’ouvre pas toutes les portes, proverbe ; Cogi-Hassan ou la princesse Bredoul-Badoul, conte persan, et d’autres opuscules, qui ne sont pas des chefs-d’œuvre, mais dans lesquels M. Ponsard cherchait laborieusement sa vocation. Nous trouvons aussi des tirades imitées de Shakspeare, entre autres, la scène des adieux de Roméo et Juliette. Et ce n’est pas tout : M. Ponsard avait voulu lutter contre le dernier barde de l’Angleterre ; il avait traduit en vers le Manfred de lord Byron ; il avait même fait imprimer ce travail qui devait paraître chez le libraire Gosselin en 1837, lorsque, par un scrupule bien honorable et bien